Samedi 27 février 2021 à 10h10
Bagdad, 27 fév 2021 (AFP) — Près de six ans après la fin du joug du groupe Etat islamique (EI) sur la région de Sinjar, foyer des Yazidis en Irak, des tensions géopolitiques risquent de déboucher sur de nouvelles violences et prolonger les souffrances de cette minorité.
Lors d'une offensive fulgurante en Irak en 2014, l'EI s'est emparé des monts Sinjar, dans le nord de l'Irak, tuant des centaines d'hommes, enrôlant de force des enfants-soldats et réduisant à l'esclavage sexuel des milliers de femmes.
L'ONU enquête sur ces atrocités visant cette minorité kurdophone monothéiste ésotérique pour déterminer si elles constituent un "génocide".
Cette région stratégique, bordée par la Turquie au nord et la Syrie à l'ouest, a été libérée en 2015 par des combattants des forces de la région autonome du Kurdistan, mais aussi des Kurdes de Syrie, soutenus par la coalition internationale antijihadiste.
Des factions paramilitaires pro-Iran du puissant Hachd al-Chaabi, désormais intégré à l'Etat, ont aussi pris à cette époque le contrôle de territoires environnants.
Le gouvernement fédéral qui, comme la région autonome du Kurdistan irakien, convoite Sinjar, y est peu présent et les organisations internationales s'y risquent rarement, ce qui a ralenti la reconstruction de la région.
Les rares Yazidis à être revenus ont peur d'être à nouveau déplacés en raison des tensions grandissantes entre les forces en présence.
"Nous vivons parmi tant de menaces différentes (...) Nous sommes terrifiés à l'idée que des heurts reprennent", affirme Faisal Saleh, 46 ans, au volant de sa voiture pour aller louer un appartement au Kurdistan au cas où il devrait fuir.
Afin de faciliter la reconstruction et le retour des Yazidis, l'accord dit de Sinjar, conclu en octobre, prévoit que les seules armes autorisées dans la région soient celles des forces fédérales. Mais il n'est toujours pas appliqué.
- Situation explosive -
"La réalité sur le terrain est plus forte que ces accords. Personne à Sinjar ne veut y perdre son influence", explique à l'AFP Yassin Tah, un expert basé dans cette région.
"La situation est très tendue et compliquée. Elle pourrait exploser à n'importe quel moment."
Les autorités du Kurdistan revendiquent le contrôle de la région mais sont confrontées à l'influence grandissante du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) rival, présent dans le nord de l'Irak et dont la branche syrienne a combattu les jihadistes à Sinjar.
La Turquie voisine, qui qualifie le PKK d'"organisation terroriste", a elle aussi "le regard tourné vers Sinjar, où elle voit le PKK gagner en puissance", affirme M. Tah.
Ankara mène régulièrement des attaques dans les zones montagneuses du nord de l'Irak contre le PKK, qui livre depuis 1984 une sanglante guérilla sur le sol turc.
En janvier, la Turquie a bombardé une région proche de Sinjar, le président Recep Tayyip Erdogan menaçant même d'y faire débarquer des forces turques "en une nuit".
Ce qui a donné une excuse aux factions pro-iraniennes du Hachd al-Chaabi pour rester et même annoncer l'envoi de nouveaux combattants, pour "bloquer tout comportement agressif", affirme un des ses responsables.
Selon M. Tah, le Hachd veut défendre les routes stratégiques pour la contrebande vers la Syrie.
Le Hachd, déployé côté irakien de la frontière poreuse avec la Syrie, dément agir hors d'Irak.
- "Sinjar souffre" -
Un responsable de la province de Ninive, où se situe Sinjar, reconnaît l'existence de ces rivalités, affirmant que toutes les parties tentent d'y protéger "leurs intérêts".
Le Premier ministre Moustafa al-Kazimi tente de désamorcer les tensions avec notamment des contacts avec la Turquie, a indiqué à l'AFP un haut responsable de son bureau.
M. Kazimi aurait en effet beaucoup à perdre en cas de conflit, explique Nussaibah Younis, du Conseil européen des relations internationales.
"Cela saperait sa victoire politique avec l'accord de Sinjar et entacherait l'image de +défenseurs de l'Irak+ acquise par le Hachd et d'autres milices, et ce aux dépens du gouvernement central", ajoute l'experte.
Sans compter que cela "entraverait le retour des déplacés yazidis déjà vulnérables".
Quelque 90.000 familles originaires de Sinjar sont encore déplacées, la plupart au Kurdistan, selon Ali Abbas, porte-parole du ministère irakien de la Migration.
Parmi eux, figure Mahma Khalil, maire de Sinjar.
"Sinjar souffre. Nous avons besoin d'efforts extraordinaires pour nous aider à en faire une ville sûre", affirme-t-il, joint au téléphone par l'AFP, depuis Dohouk.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.