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La répression transnationale des dissidents, un phénomène à multiples facettes


Jeudi 14 juillet 2022 à 06h47

Paris, 14 juil 2022 (AFP) — Surveillance et harcèlement en ligne, menaces sur la famille, révocation du passeport, enlèvement ou détournement d'avion pour appréhender un opposant, agression physique voire assassinat, les Etats répressifs déploient un très large éventail coercitif contre leurs dissidents à l'étranger.

Connue sous le nom de "répression transnationale", cette volonté de projection par les régimes autoritaires de leur contrôle sur leurs citoyens hors de leurs frontières est apparue au grand jour avec l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul en octobre 2018.

Si elles ont pris une ampleur inédite au XXIe siècle, "ces tactiques remontent à plusieurs décennies" au moins, rappelait en juin l'organisation américaine de promotion de la démocratie Freedom House.

"Le gouvernement du président rwandais Paul Kagame a commencé à viser des exilés peu après son accession au pouvoir dans les années 1990, les assassinats extraterritoriaux sont une caractéristique du régime iranien depuis la révolution de 1979 et l'Union soviétique a sinistrement assassiné Léon Trotsky au Mexique en 1940", soulignait-elle.

Dans un rapport pionnier en 2021 pour mesurer l'ampleur de la répression transnationale, Freedom House a classé les tactiques utilisées en quatre catégories :

- Attaques directes (assassinats, agressions, disparitions, intimidations physiques, rapatriements forcés violents)

- Coopération d'autres pays pour les amener à arrêter ou livrer la personne visée par des procédures juridiques contestables, y compris en abusant du système Interpol

- Contrôles du mouvement (révocation de passeport, refus de service consulaire ...)

- Menaces à distance, notamment le harcèlement ou l'espionnage en ligne et les pressions via la famille et les proches, les modes les plus courants.

L'organisation recense dans un nouveau rapport paru en juin 735 actes physiques directs de répression transnationale commis de 2014 à 2021 par 36 pays, prévenant que ce nombre ne donne qu'un aperçu fragmentaire du phénomène.

Sur ce total, la Chine arrive largement en tête, avec 229, devant la Turquie (123), le Tadjikistan (43), l'Egypte (42) et la Russie (41).

Pendant cette période, l'Ouzbékistan s'est livré à 31 actions de ce type, suivi par le Turkménistan (30), et une autre ex-république soviétique, le Belarus à 29, toutes en 2021, à la suite de la contestation de la réélection du président Alexandre Loukachenko.

- Chine: de loin le premier acteur -

La Chine mène la "campagne de répression transnationale la plus sophistiquée et la plus globale au monde", selon Freedom House:

- Par la variété des cibles, minorités ethniques et religieuses (Ouïghours, Tibétains ...), dissidents politiques, militants des droits humains, journalistes, anciens membres du régime accusés de corruption

- Par l'étendue du spectre des tactiques utilisées

- Par son ampleur planétaire sans équivalent.

Sur quelque 10.000 "fugitifs" officiellement rapatriés en Chine depuis le lancement en 2014 par le président Xi Jinping d'une campagne anticorruption, la grande majorité l'ont été par des méthodes extrajudiciaires allant jusqu'à l'enlèvement, affirme l'ONG de défense des droits de l'homme Safeguard Defenders dans un rapport publié en janvier.

- Turquie: campagne tous azimuts depuis 2016 -

"Depuis la tentative de coup d'Etat contre le président Recep Tayyip Erdogan en juillet 2016, le régime a pourchassé ce qu'il perçoit comme ses ennemis" dans au moins une trentaine de pays sur quatre continents, indique Freedom House.

La Turquie se distingue par l'intensité des efforts déployés pour convaincre les pays hôtes de lui livrer les personnes visées hors de tout cadre juridique ou avec un vague semblant de légalité, selon l'organisation.

Elle a fait de la question kurde une "ligne rouge", observe Hugo Gabbero, de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), "en assimilant tout ce qui est lié à la défense des droits des Kurdes au terrorisme".

- Russie: assassinats et abus des notices rouges d'Interpol -

Avec un quart des actes de répression transnationale attribués au Kremlin, "les assassinats sont la marque de fabrique de la Russie" en la matière, constate Freedom House. Elle compte pour un tiers des assassinats recensés dans ce cadre (32).

Moscou représente 31% des abus de signalements Interpol recensés dans la base de données de l'organisation.

Plutôt qu'à "contrôler l'ensemble de la diaspora par la coercition le régime par sa répression intérieure chasse les activistes et autres hors du pays, apparemment délibérément", selon le rapport de 2021.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.