Dimanche 16 octobre 2022 à 19h40
Paris, 16 oct 2022 (AFP) — Au moins quatre détenus sont morts et une soixantaine ont été blessés dans un incendie à la prison d'Evine à Téhéran, après un mois de protestations contre la mort de la jeune Iranienne Mahsa Amini, a annoncé dimanche l'Autorité judiciaire.
Les autorités ont accusé des "voyous" d'avoir provoqué samedi soir des affrontements et un incendie dans ce centre de détention tristement célèbre, mais des ONG ont mis en doute cette version.
Selon l'Autorité judiciaire, "quatre prisonniers, condamnés pour vol, sont morts après avoir inhalé de la fumée et 61 ont été blessés, dont quatre grièvement".
L'agence officielle Irna a affirmé que ces incidents n'avaient "rien à voir" avec les manifestations consécutives à la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, 22 ans, entrées dans leur cinquième semaine malgré la répression qui a fait au moins 108 morts, selon l'ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo.
Sur des vidéos postées sur les réseaux sociaux, des coups de feu et le bruit d'explosions étaient audibles samedi soir aux abords de la prison, où sont notamment détenus des étrangers et qui est connue pour ses mauvais traitements des détenus politiques.
"Vu combien le mensonge des responsables officiels est devenu normal, nous n'acceptons pas les explications officielles", a rétorqué IHR.
Des proches des détenus et des défenseurs des droits humains ont assuré que les autorités avaient fait usage de gaz lacrymogène lors de ces incidents.
Des centaines de personnes arrêtées lors des protestations contre la mort de Mahsa Amini auraient été envoyées à Evine, parfois surnommée "université Evine" en raison du grand nombre d'intellectuels qui y sont détenus.
- "Protéger les prisonniers" -
Après l'incendie, plusieurs ONG ainsi que les Etats-Unis se sont dit inquiets pour les prisonniers, mais plusieurs détenus étrangers ont pu contacter leurs familles.
"Les prisonniers, y compris des détenus politiques, sont complètement sans défense" à Evine, a déclaré Hadi Ghaemi, le directeur du Centre pour les droits de l'Homme en Iran (CHRI) basé à New York.
La secrétaire générale d'Amnesty International, Agnès Callamard, a souligné que les autorités iraniennes avaient "l'obligation légale de respecter et de protéger la vie et le bien-être de tous les prisonniers".
Parmi les détenus étrangers figurent l'universitaire franco-iranienne Fariba Adelkhah et l'Américain Siamak Namazi.
Le groupe de soutien de Fariba Adelkhah a affirmé avoir eu des nouvelles "rassurantes" et l'avocat américain de Siamak Namazi a déclaré que ce dernier avait "été transféré dans une zone sécurisée de la prison".
La France a dit suivre "avec la plus grande attention" le sort des Français "détenus arbitrairement" à Evine.
Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a lui demandé "un maximum de transparence" aux autorités iraniennes, alors que l'Union européenne s'apprête à imposer lundi des sanctions à l'Iran.
La famille du détenu autrichien Massoud Mossaheb a indiqué que ce dernier était en vie mais souffrait d'avoir inhalé de la fumée. L'autre prisonnier autrichien Kamran Ghaderi est aussi en sécurité.
De même, selon le ministère italien des Affaires étrangères, Alessia Piperno, une globe-trotteuse italienne arrêtée le 28 septembre et détenue à Evine, se porte bien.
Hossein Sadeghi, le père du militant des droits de l'homme Arash Sadeghi arrêté il y a quelques jours, a confirmé que son fils était en vie après avoir parlé avec lui.
L'universitaire australienne Kylie Moore-Gilbert, qui fut détenue à Evine, a de son côté déclaré avoir appris des proches des prisonnières politiques qu'elles étaient "toutes en sécurité".
- "Bien plus" -
Selon des ONG, des manifestations ont eu lieu dans la nuit en solidarité avec les détenus d'Evine, puis dimanche, notamment à l'Université de Téhéran, après une nouvelle journée de protestations samedi sous le slogan "Le début de la fin!" du pouvoir.
Malgré le bouclage des routes aux alentours, des manifestants se sont rendus à la prison, y scandant notamment "Mort au dictateur", selon les sons de vidéos partagées par le média en ligne 1500tasvir.
La mort de Mahsa Amini a été l'étincelle de cette vague de contestation. La jeune Kurde iranienne est décédée trois jours après son arrestation à Téhéran par la police des moeurs, qui lui reprochait d'avoir enfreint le strict code vestimentaire en vigueur dans le pays, imposant notamment le port du voile pour les femmes.
Depuis, les Iraniennes, beaucoup tête nue, ont été à l'avant-garde du mouvement.
Les dirigeants iraniens accusent les Occidentaux et notamment les Etats-Unis de fomenter des "émeutes". Dimanche, le président iranien Ebrahim Raïssi a accusé son homologue américain Joe Biden d'"inciter au chaos".
Le chef des Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique de l'Iran, a de son côté accusé l'Occident d'avoir fomenté des "émeutes" dans plusieurs écoles.
Les manifestations en Iran sont les plus importantes depuis celles de 2019 contre la hausse du prix de l'essence dans ce pays.
Mais selon Cornelius Adebahr, analyste pour Carnegie Europe, il faut "bien plus que des manifestations et des sanctions" pour renverser le régime iranien.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.