Jeudi 16 mai 2024 à 17h40
Istanbul, 16 mai 2024 (AFP) — Le charismatique chef de file kurde déjà incarcéré, Selahattin Demirtas, a été condamné jeudi à 42 ans de prison, notamment pour atteinte à l'unité de l'Etat, dans une affaire qui a déjà valu à Ankara d'être condamné par la Cour européenne des droits de l'Homme.
Troisième force politique au Parlement turc, le Parti démocratique des peuples (HDP, devenu DEM) fait l'objet d'une répression implacable depuis 2016, année où Selahattin Demirtas a été arrêté et incarcéré.
Âgé de 51 ans, M. Demirtas, ancien coprésident du HDP, était jugé pour 47 chefs d'accusations, parmi lesquels celui d'atteinte à l'unité de l'Etat et à l'intégrité territoriale et d'incitation à commettre un crime, à l'occasion d'une flambée de violences en Turquie en 2014, ont rapporté les médias turcs et l'ONG MLSA.
L'autre ex-coprésidente du HDP d'alors, Figen Yuksekdag, a été condamnée à trente ans et trois mois d'emprisonnement.
A l'annonce du verdict, plusieurs députés du DEM ont brandi des portraits des deux dirigeants dans l'enceinte de l'Assemblée pour protester contre la décision.
"Nous avons tous été témoins ici aujourd'hui d'un massacre judiciaire", a réagi dans un communiqué le DEM, dénonçant une "nouvelle tache sombre dans l'histoire judiciaire de la Turquie".
Dans cette procédure-fleuve, la plupart des 108 accusés ont été condamnés, mais quelques-uns ont été acquittés. L'audience à Sincan, dans la banlieue d'Ankara, s'est déroulée en l'absence des accusés en détention provisoire.
Les procureurs avaient réclamé la réclusion à perpétuité à l'encontre de 36 accusés, dont Selahattin Demirtas.
Les deux dirigeants actuels du DEM, des responsables de plusieurs autres partis d'opposition y ont en revanche assisté pour marquer leur soutien aux accusés.
Une partie des avocats de la défense a quitté la salle d'audience avant la lecture du verdict pour protester contre les atteintes aux droits de la défense au cours du procès.
- Prise de Kobané -
Les violentes manifestations d'octobre 2014, au cours desquelles 37 personnes avaient été tuées dans le pays, avaient débuté après un appel lancé par le HDP contre le refus du gouvernement d'Ankara d'intervenir pour empêcher la ville frontalière kurde de Syrie Kobané de tomber entre les mains des jihadistes du groupe Etat islamique (EI).
Les combats étaient visibles du côté turc de la frontière et de nombreux membres de la communauté kurde du pays avaient dénoncé une inaction complice de l'armée turque.
Présenté dans la presse étrangère comme le Barack Obama kurde, Selahattin Demirtas s'était présenté à la présidentielle contre le président Recep Tayyip Erdogan en 2014 et en 2018, depuis sa prison.
Après sa condamnation en 2018 à quatre ans et huit mois de prison pour "propagande terroriste" dans un volet de cette affaire, la CEDH avait sommé Ankara de le libérer "dans les plus brefs délais", estimant que son emprisonnement visait à "étouffer le pluralisme" politique.
Ankara accuse le parti HDP, et aujourd'hui le DEM, de liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme un groupe terroriste par la Turquie et ses alliés occidentaux - ce que le parti dément.
A l'été 2015, un cessez-le-feu en vigueur depuis deux ans avait été rompu après le déclenchement d'une offensive de l'armée turque contre des positions de combattants kurdes en Syrie et en Irak.
Des milliers de partisans du HDP et des dizaines de ses élus, en particulier dans le sud-est à majorité kurde du pays, sont emprisonnés, accusés de soutien au terrorisme ou de menaces à la sécurité. Ce que tous démentent en dénonçant des inculpations politiques.
Le verdict contre Selahattin Demirtas intervient alors que plusieurs personnalités proches de l'AKP, le parti du président Erdogan, ont évoqué ces derniers jours la possibilité d'un nouveau procès, réclamé par son avocate, pour Osman Kavala.
L'homme d'affaires et philanthrope, âgé de 66 ans, a été arrêté en octobre 2017 puis condamné en 2022 à la perpétuité par la justice turque pour "tentative de renversement du gouvernement" via le financement des grandes manifestations de l'opposition à Istanbul en 2013, dites de Gezi. Il a toujours nié les accusations portées contre lui.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.