Mercredi 6 decembre 2023 à 19h16
Marseille, 6 déc 2023 (AFP) — Mille euros pour "arranger" le dossier d'un demandeur d'asile: deux agents administratifs de la préfecture des Bouches-du-Rhône sont jugés à Marseille pour corruption et aide au séjour irrégulier, jusqu'au 15 décembre.
Embauché en septembre 2019 au Guichet unique de l'asile (Guda), Abdalla Ibrahim, Franco-Syrien âgé de 55 ans, a reconnu mercredi devant le tribunal correctionnel des interventions au profit de la communauté turque: "On sait que je suis arrangeant et que je peux intervenir", a expliqué le prévenu à la barre, appuyé sur une canne.
La fraude visait à faire échapper au couperet "Dublin", une procédure consistant à renvoyer l'examen d'une demande d'asile au pays où l'étranger a été enregistré à l'entrée sur le territoire européen. Le dossier était alors traité par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, et le demandeur obtenait une attestation autorisant un séjour temporaire régulier.
En l'absence d'un contrôle par sa hiérarchie, Abdalla Ibrahim pouvait ne pas enregistrer sur la base Eurodac les empreintes digitales d'un demandeur déjà enregistrées ou bien faire disparaître une réponse positive de Visabio, un autre système de traitement des visas européens accordés à des étrangers.
Au total, "j'ai touché 9.000 euros, soit en faisant quelque chose, soit en faisant croire que je faisais quelque chose", a reconnu le fonctionnaire, radié en mai 2021. Les enquêtes administratives ont recensé onze dossiers frauduleux mais, précise le juge d'instruction, "il s'agit d'une estimation basse, l'enquête administrative réalisée ayant révélé qu'au moins 10% des dossiers traités par Abdalla Ibrahim présentaient une anomalie".
Un bénéficiaire a évoqué une rétribution sous forme de travaux réalisés gratuitement au domicile du prévenu.
Ce fonctionnaire était très apprécié de ses supérieurs. "Je parle quatre langues et la préfecture a gagné beaucoup d'argent en économisant sur le marché de l'interprétariat", a déclaré le prévenu.
A ses côtés, une de ses collègues répond de trois interventions faites à la demande d'Abdalla Ibrahim, pour une rémunération globale de 100 euros. Il l'avait notamment sollicitée pour un prétendu ami d'enfance dont les empreintes avaient été prises en Allemagne et qui aurait donc dû être "dubliné".
Les deux fonctionnaires l'avaient fait échapper à une prise d'empreintes tout en enregistrant sa demande. Il s'était avéré par la suite que ce Turc avait été interpellé dans les Pyrénées-Atlantiques et avait été signalé par les autorités allemandes pour des activités liées au terrorisme, ayant un "haut rang au sein du PKK".
L'instruction a révélé des contrôles rendus quasi inopérants en raison de la masse de dossiers à traiter au Guda mais aussi des garde-fous assez légers: non-interconnexion de fichiers ou simple clic pour décocher et retirer un dossier du circuit Dublin.
A leurs côtés comparaissent neuf autres prévenus, huit Turcs et un Syrien, jugés pour leur rôle d'intermédiaires. Parmi eux, la présidente de l'association "La maison du peuple kurde" de Marseille aurait donné le contact du fonctionnaire à un grand nombre de personnes cherchant à faire "arranger leur situation".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.