Vendredi 20 decembre 2024 à 19h57
Alep (Syrie), 20 déc 2024 (AFP) — Un fil de fer scellé d'un point de cire rouge verrouille l'entrée de l'hôtel Baron, témoin des grandes heures d'Alep. Debout, mais cabossé, à l'image de la deuxième ville de Syrie.
Le patrimoine de la vieille ville, classée par l'Unesco, a volé en éclats au fil des batailles sans merci entre 2012 et 2016 entre l'armée syrienne, qui bombardait depuis le ciel appuyée par l'aviation russe, et les combattants rebelles dont les obus de mortiers et roquettes artisanales tombaient au hasard. et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)
Aujourd'hui, la ville tombée le 1er décembre aux mains d'une coalition de groupes armés dirigée par des islamistes radicaux sort du chaos pour reprendre ses esprits.
"Malheureusement, plus de 60 % des bâtiments de la vieille ville sont en ruines", déplore Georges Edleby, guide touristique assermenté depuis 35 ans.
- Savons et boutons de rose -
Pourtant, le Musée national d'Alep se tient prêt à rouvrir après quelques travaux. Des obus ont fini leur course dans la cour mais le bâtiment a été épargné.
Surtout, ses trésors qui retracent neuf millénaires de l'histoire de l'humanité et la naissance de l'écriture dans cette Mésopotamie toute proche ont été mis à l'abri et protégés.
"On a tiré les leçons de l'expérience de nos voisins", indique le directeur, Ahmad Othman, soulignant que "le musée national d'Irak a été pillé". "On a pris les mesures nécessaires pour protéger nos collections".
"Les statues trop lourdes pour être déplacées ont été emmurées dans des sarcophages de béton et les petits objets stockés dans des lieux sécurisés", ajoute-t-il.
Quelques terres cuites ont été laissées sur place. Deux petites figurines féminines aux rondeurs généreuses y attendent les visiteurs dans leur vitrine salie.
Les vieux souks où s'empilaient les fameux savons d'Alep au laurier, et où embaumaient au printemps les boutons de rose, sont réduits à des éboulis de pierres d'où surgit en arrière-plan la citadelle médiévale, pratiquement intacte.
L'édifice est gardé par des combattants de la coalition arrivée le 8 décembre au pouvoir en Syrie, dont l'un a glissé une rose dans le canon de son arme.
La citadelle, bastion de l'armée qui bombardait depuis ses remparts, a surtout souffert du séisme qui a ravagé le nord-ouest de la Syrie et le sud-est de la Turquie en février 2023, explique le guide.
En contrebas, quelques allées du souk, le plus grand du monde avec 4.000 échoppes, ont rouvert après une réhabilitation clinquante.
- De Gaulle et Lawrence d'Arabie -
La restauration a notamment été financée par la Fondation Aga Khan pour la Culture en vertu d'un accord avec les autorités syriennes, mais également par des fonds saoudiens comme l'indique une plaque.
Jamal Habbal, 66 ans et toute une vie sous les voûtes de pierre, a ainsi rouvert depuis un an son échoppe de cordages et macramé. "On a tellement de souvenirs ici. C'était un grand marché animé et vibrant, les fiancées venaient constituer leur trousseau. Elles y trouvaient tout. Et puis soudain, la crise...". Il ne prononce pas le mot de guerre.
"On a dû partir, je suis revenu en 2018, mais ça reste difficile", dit-il, au milieu d'allées mal éclairées et désertes.
Fadel Fadel a également réinvesti sa boutique de souvenirs, savons et coffrets incrustés de nacre. "C'était totalement démoli ici", dit-il. A 51 ans, il espère retrouver l'activité qui faisait d'Alep "un centre commercial industriel et touristique. On espère une vie meilleure".
Au-dehors, les rues empoussiérées, comme celle du marché aux poulets, serpentent entre les décombres, et devront attendre encore avant d'accueillir à nouveau du monde.
Le Baron retrouvera-t-il lui ses occupants un jour? L'établissement a vu passer Agatha Christie, les présidents égyptien Gamal Abel Nasser et français Charles de Gaulle, le fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk, ou le milliardaire David Rockfeller.
Outre ses chambres au charme fané, l'hôtel se visitait pour sa terrasse et la note de bar impayée de Lawrence d'Arabie. Mais les lieux, entraperçus à travers les lames arrachées des volets clos, sont vides, abandonnés à la poussière.
Aujourd'hui décédé, Armen Mazloumian, dernier propriétaire et héritier des fondateurs le pressentait: "les belles années sont derrière nous. L'hôtel ne sera plus jamais ce qu'il a été", confiait-il en 2014 à l'AFP.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.