Dimanche 28 novembre 2021 à 17h24
Qadrawa (Irak), 28 nov 2021 (AFP) — La dernière fois que Mohamed a parlé à son père, resté au Kurdistan irakien, c'était pour lui annoncer qu'il allait traverser la Manche. Entre temps, le naufrage d'une embarcation a fait 27 morts et le patriarche craint désormais le pire.
"Il nous a dit qu'il allait passer en Grande-Bretagne. Il nous a envoyé un message sur Messenger", raconte Qader Abdallah dans son salon à Qadrawa, petit village du Kurdistan, dans le nord de l'Irak.
"On lui a dit que c'était dangereux, qu'il y avait des risques avec cette traversée. Il a voulu nous rassurer en nous disant que de nombreux passages ont eu lieu par cette mer et qu'il n'y avait pas eu de problèmes", ajoute l'homme de 49 ans.
C'était le 23 novembre. Le lendemain, la France annonçait le naufrage d'une embarcation dans la Manche ayant fait au moins 27 morts.
Depuis, à Qadrawa, plusieurs familles sont sans nouvelles de fils portés disparu. Etaient-ils à bord de cette embarcation funeste? Sont-ils arrivés en Grande-Bretagne? Difficile de le savoir pour le moment, l'enquête n'ayant encore rien révélé sur l'identité des victimes, leur nationalité ou sur les causes du naufrage.
Il y a un mois, Mohamed, 20 ans, s'envolait pour la Turquie depuis l'aéroport d'Erbil. Il rallie clandestinement l'Italie, puis la France. Il voulait rejoindre ses deux frères, installés depuis deux ans en Grande-Bretagne.
"Notre famille s'était mise d'accord pour qu'il parte en Europe", reconnaît M. Abdallah.
- "Meilleur avenir" -
"Tous les jeunes essayent de se rendre en Europe pour trouver un meilleur avenir", "les conditions de vie sont difficiles" au Kurdistan, explique-t-il. "Les jeunes ont manifesté à cause de la dégradation de la situation économique qui les empêche de trouver un emploi."
La tragédie de mercredi est le pire drame migratoire dans la Manche, sillonnée quotidiennement par des migrants tentant de rallier les côtes anglaises à bord de fragiles embarcations.
Ces traversées se sont développées depuis 2018 face au bouclage du port de Calais, dans le nord de la France, et d'Eurotunnel, que les migrants empruntaient en se cachant dans des véhicules.
Abou Zaniar a lui aussi perdu la trace de son fils de 20 ans: "le 23 novembre on s'est parlé, mais depuis aucune information sur son sort", déplore-t-il.
Il y a un mois, le jeune homme est parti par avion en Turquie, d'où il a pu se rendre clandestinement en Italie, puis en France.
"On s'est mis d'accord avec un passeur pour qu'il le conduise en Grande-Bretagne en échange de 3.300 dollars (environ 2.900 euros).
Il essaye de joindre le passeur par téléphone, en vain. La ligne est fermée. Il appelle alors des proches de cet individu pour se plaindre: "c'était pas ça notre accord, il nous avait promis de faire arriver Zaniar sain et sauf en Angleterre".
"Si mon fils a survécu cette fois-ci, je l'enverrai de nouveau en Europe", s'entête toutefois Abou Zaniar. "Il n'y a pas de vie possible dans la région du Kurdistan, les diplômés ne trouvent pas de travail."
Il y a deux ans, Zaniar avait déjà tenté de gagner l'Europe occidentale par la Bulgarie, où il avait été arrêté, maltraité en prison, puis expulsé vers son pays.
Selon les sauveteurs, les naufragés de la Manche s'entassaient à bord d'un bateau pneumatique à fond souple d'une dizaine de mètres. Seuls un Irakien et un Somalien ont été sauvés.
L'Irakien serait-il Mohamed Khaled? Sa mère Cheleir Ahmed le pense, après avoir reçu un coup de fil de son fils.
Le jeune homme de 22 ans s'est rendu il y a deux mois au Bélarus, avant de rallier la France grâce à des passeurs. "Son état de santé est très mauvais parce qu'il est resté longtemps dans l'eau. Il m'a informé que lui et un migrant africain avaient survécu."
A bord de l'embarcation, dit-elle, 32 personnes, des jeunes et des familles, qui se seraient tous noyés.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.