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Au procès de l'ultragauche, les prévenus dénoncent une "criminalisation" de leurs opinions


Vendredi 20 octobre 2023 à 21h38

Paris, 20 oct 2023 (AFP) — "Mon positionnement politique n'a jamais tendu à une lutte armée révolutionnaire en France". Au procès de sept sympathisants d'ultragauche accusés d'avoir projeté des actions violentes contre les forces de l'ordre, certains d'entre eux ont dénoncé la volonté de "criminaliser" leurs opinions et leurs pratiques.

Alors que la troisième semaine de ce procès s'achève, la question du projet des prévenus, qui comparaissent pour association de malfaiteurs terroriste et encourent pour cette infraction jusqu'à dix ans d'emprisonnement, se pose toujours.

Dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, les juges d'instruction ont précisé qu'"aucun passage à l'acte imminent n'a été envisagé".

Mais ils ont retenu plusieurs éléments à charge, parmi lesquels des essais d'explosifs et quelques parties d'airsoft qui seraient selon eux des "entraînements tactiques".

Ils s'appuient aussi sur des conversations enregistrées et sur des documents saisis par les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour appuyer leurs accusations.

Les prévenus contestent vigoureusement les faits, évoquant pour leur part des "séances ludiques" pour leurs expérimentations d'explosifs ou d'airsoft, réalisés notamment pendant le confinement. Sur les propos enregistrés entre certains d'entre eux, évoquant la révolution "par les armes", ou encore le fait de "tuer" un policier, ils renvoient à des conversations tenues lors de soirées fortement alcoolisées.

Depuis le début du procès, leurs avocats n'ont de cesse de dénoncer les méthodes de la DGSI dans cette enquête.

"Notre orientation politique peut servir à nous accuser de terrorisme", avait déclaré jeudi à la barre Florian D., principal prévenu du dossier qui a combattu auprès des Kurdes contre l'organisation État islamique en 2017.

"Je sais très bien que dans nos milieux militants, on parle de lutte armée", mais "j'ai vu ce que c'était la guerre: c'est une connerie".

Dans cette affaire, il est le seul à connaître tous les autres co-prévenus, certains d'entre eux ne s'étant jamais croisés avant d'être mis en cause judiciairement dans cette affaire.

- "Comportement clandestin"? -

L'utilisation de moyens de communication chiffrés, tels que l'application Signal ou la messagerie Protonmail, est aussi avancée par l'accusation, qui y voit le signe d'un "comportement clandestin". Trois des prévenus, Florian D., Camille B. et Loïc M., sont d'ailleurs aussi jugés pour avoir refusé de donner aux enquêteurs les codes ou mots de passe de leurs téléphones et ordinateurs.

"J'ai toujours manifesté cet attachement à la vie privée et à l'intimité, ce qui m'a amenée à refuser de communiquer mes codes de chiffrement", explique vendredi au tribunal Camille B., seule femme du dossier.

"Pour des raisons tout autant éthiques que politiques", elle dit ne pas vouloir utiliser des "applications qui favorisent les profilages commerciaux". "Il me semble que la vie privée doit rester la vie privée, nous ne sommes pas des sujets de consommation", poursuit-elle.

Cité comme témoin par la défense, Bastien Le Querrec, juriste de l'association de défense des libertés La Quadrature du Net, se dit gêné par l'utilisation du vocabulaire de la "clandestinité" pour qualifier de "bonnes pratiques numériques".

"Les outils cités dans ce dossier ne le sont pas dans un but criminel", observe-t-il. Leur but est "d'offrir à tout le monde sécurité et confidentialité dans ses communications".

Interrogée sur des documents trouvés sur une clé USB intitulés "le principe anarchiste", "brûle ton école.cleaned" ou encore "un jour nous vaincrons", Camille B. réplique: "on peut avoir une quantité de choses dans ses lectures et bibliothèques et ce n'est pas pour autant qu'on adhère au moindre mot" de ces écrits.

"Je n'utilise pas la violence politique dans mon militantisme politique", assure la prévenue, décrite par une amie venue témoigner en sa faveur, avec laquelle elle avait notamment milité pour défendre les sans-papiers, comme "une personne tournée vers les autres" et "d'une grande générosité".

"Tout la pousse à construire une société non-violente", estime ce témoin. "Ca fait peur parce que je n'arrive pas m'enlever de la tête que c'est lié à un contexte politique inquiétant (...) où la contestation sociale est criminalisée sous couvert d'antiterrorisme".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.