Mercredi 30 novembre 2022 à 05h03
Koysinjaq (Irak), 30 nov 2022 (AFP) — Un toit enfoncé, un mur explosé et des éclats de verre: "c'est les missiles du régime". Dans leur base arrière du nord de l'Irak, les rebelles kurdes iraniens recensent les dégâts causés par le feu de Téhéran, en attendant de nouvelles frappes.
Leur QG, ils l'appellent "La Citadelle". Ce fort de l'époque de Saddam Hussein semble tout droit sorti du "Désert des Tartares". Il est planté à flanc d'une colline désertique à l'écart de Koysinjaq (Koya, en kurde), gros bourg du Kurdistan d'Irak où le Parti démocratique du Kurdistan d'Iran (PDKI), qualifié de "terroriste" par Téhéran, a élu domicile en 1993.
C'est aussi l'une des cibles des drones et missiles de l'Iran.
"Le régime iranien nous a bombardés trois fois en moins de deux mois", relève Karim Farkhapour, un dirigeant du PDKI. Dans les rangs de son mouvement, douze personnes ont été tuées et 20 autres blessées, selon lui.
Les militants du PDKI ont évacué le fort, mais les dégâts sont encore nettement visibles, notamment après la dernière salve en date, tirée il y a une semaine.
Du toit de la bibliothèque pendouillent des câbles électriques, des étagères déchiquetées gisent au sol. Dans une autre salle, M. Farkhapour slalome entre les gravats pour atteindre un drapeau kurde miraculeusement indemne.
"Le régime de Téhéran va encore nous viser. C'est pas fini, vous verrez", dit-il, un revolver arrimé à la ceinture de son habit traditionnel.
- "Mensonge" -
Ce n'est pas la première fois que les Gardiens de la Révolution, armée idéologique de la République islamique, revendiquent des frappes contre le PDKI, mais les récents bombardements, qui ont aussi visé d'autres groupes rebelles kurdes iraniens en Irak, ont pris une acuité particulière en raison du contexte politique en Iran.
Le pouvoir iranien accuse ces factions d'"importer des armes" depuis l'Irak et d'encourager les manifestations qui secouent l'Iran depuis la mort le 16 septembre de la jeune Kurde iranienne Mahsa Amini, après son arrestation par la police des moeurs.
"Faux", rétorque Moustafa Mouloudi, l'un des dirigeants du PDKI à Koysinjaq.
"Il n'y a aucune preuve que nous ayons fait passer des armes en Iran", dit-il. "C'est un mensonge proféré par le régime pour cacher la vérité au peuple. Le terroriste, c'est le régime".
Les groupes kurdes iraniens tels que le PDKI ou Komala sont de longue date dans le viseur de Téhéran. Installés au Kurdistan d'Irak depuis les années 1980 avec la bénédiction de Saddam Hussein, alors en guerre avec l'Iran, ils sont souvent très à gauche politiquement.
Si les analystes estiment qu'ils ont quasiment interrompu leurs activités militaires, ils continuent à militer depuis l'exil.
Dénonçant les discriminations dont souffre la minorité kurde d'Iran (environ 10 millions d'habitants sur les 83 millions que compte le pays), le PDKI veut un "Iran fédéral" dans lequel serait créée une province kurde dotée d'une large autonomie, explique Karim Farkhapour.
"Nous sommes laïques et nous luttons pour les droits des femmes", assure-t-il.
- "La peur au ventre" -
L'organisation, financée grâce notamment aux dons des sympathisants, obéit à une hiérarchie rigide. Pour preuve: lors d'une visite aux militants du PDKI à Koysinjaq, l'AFP est invitée à ne pas s'écarter du programme établi par les instances dirigeantes.
Au sein du PDKI, "nous sommes libres", assure de son côté Shaunem Hamzi, militante de 36 ans vivant à Koysinjaq avec ses parents.
Les cheveux au vent, la jeune femme dit avoir vécu dans un camp du PDKI installé à 500 mètres de la citadelle. Avec 200 autres familles, elle habitait une de ces maisons en parpaings ou en béton de plain-pied qui formait ce village miniature. Jusqu'aux salves de Téhéran.
Les dernières attaques "ont été beaucoup plus intenses que les précédentes. Les enfants, les familles ont eu très peur. Maintenant, nous vivons la peur au ventre", énonce-t-elle.
Comme tous les autres habitants, Shaunem Hamzi a dû quitter le camp et vit un jour dans une maison trouvée par le PDKI, un autre jour dans une autre.
En tant que femme kurde iranienne, elle affirme s'identifier fortement au mouvement de contestation qui secoue l'Iran.
"Si le régime tente de nous stopper ne serait-ce que temporairement, les manifestations repartiront quand même de plus belle, parce que c'est dans nos coeurs", tonne-t-elle. "Les protestataires n'obéiront jamais aux règles du régime".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.