Jeudi 6 juin 2024 à 05h02
Al Qahtaniyah (Syrie), 6 juin 2024 (AFP) — Sa Kalachnikov à l'épaule, Yasmine Youssef, une volontaire kurde, sillonne les champs de blé du nord-est de la Syrie: cette année la récolte s'annonce prometteuse et il faut la protéger.
Comme quelques centaines d'autres habitants des zones tenues par l'administration autonome kurde, cette femme de 42 ans s'est portée volontaire pour garder les champs, de peur d'incendies, criminels ou autres.
"Notre mission est de servir les agriculteurs et de protéger leurs champs, pendant un mois ou deux", explique à l'AFP Mme Youssef en chemise kaki, la tête recouverte d'un foulard.
"Si des incendies se déclarent, on est directement avertis et on appelle à notre tour les pompiers", explique-t-elle.
Les comités mis en place par l'administration autonome kurde et qui chapeautent ces volontaires se déplacent entre les localités, tandis que des camions de pompiers sont garés dans la zone en cas d'urgence.
Sous un soleil de plomb, les moissonneurs travaillent dans les champs dorés, tandis que les forces de sécurité kurdes effectuent des patrouilles régulières.
Les habitants craignent des départs de feu comme cela s'est produit à plusieurs reprises ces dernières années.
En juin 2019, des incendies, qui ont ravagé des champs de blé s'étendant de l'est de la ville de Qamichli jusqu'à la région de Hassaké, ont fait au moins dix morts, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).
Les volontaires et les agriculteurs ne sont en outre pas à l'abri des attaques surprise de cellules dormantes des jihadistes du groupe Etat islamique (EI) ou encore des frappes aériennes turques.
- "Que font ces femmes?" -
Après des années de sécheresse dans le nord-est de la Syrie, les habitants s'attendent à une récolte exceptionnelle en raison des fortes pluies cette année.
Selon un récent rapport de la Banque mondiale, après un déclin historique en 2022, la production agricole de blé en Syrie a doublé entre 2022 et 2023 pour atteindre deux millions de tonnes, grâce à une météo favorable.
Les autorités kurdes et le gouvernement syrien, qui n'a jamais rompu les liens avec l'administration kurde, sont en compétition pour acheter la production de blé aux agriculteurs.
Dans un pays où plus d'un habitant sur quatre vit dans une "pauvreté extrême" selon la Banque mondiale, le blé a une importance stratégique.
"La population dépend entièrement de cette récolte", explique Yasmine Youssef.
Au début, "les gens ne nous prenaient pas au sérieux", avoue-t-elle. "Ils disaient: +que font ces femmes sur les routes+ ? Désormais, tout le monde s'accorde sur la nécessité de s'unir pour protéger nos moyens de subsistance".
Habitants et responsables de l'administration autonome affirment que les incendies sont souvent d'origine "criminelle".
A son apogée, l'EI avait revendiqué des incendies délibérés des récoltes dans les zones sous contrôle des forces kurdes.
Les Forces démocratiques syriennes (FDS, dominées par les Kurdes), soutenues par les Etats-Unis, ont été le fer de lance de la lutte contre l'EI, qui a été délogé du nord de la Syrie en 2019.
- "Solidarité" -
"Certaines personnes tentent de brûler les terres intentionnellement, mais nous ne les laisserons pas faire", assure Renkin Hassan, une femme de 50 ans qui porte un gilet militaire.
"Nous laissons tout derrière nous, y compris nos enfants et nos maris, pour protéger les champs de blé. Je ne possède pas un seul arpent, mais je viens tous les jours pour que les agriculteurs puissent bénéficier de leurs récoltes", ajoute-t-elle, en patrouillant avec un groupe d'hommes et de femmes armés.
Pour elle, c'est grâce à cette "solidarité" que l'ampleur des incendies reste "limitée cette année".
"Nous sommes là pour empêcher les mercenaires de brûler les terres et pour nous protéger", déclare Attia Hassan, 50 ans, qui porte sa mitraillette sur sa robe blanche fleurie.
"Les gens sont heureux quand ils nous voient... nous sommes fiers de nos efforts, malgré les circonstances difficiles".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.