Samedi 11 mars 2023 à 19h13
Qamichli (Syrie), 11 mars 2023 (AFP) — Dans un centre du nord-est de la Syrie, des enfants étrangers parmi lesquels des Occidentaux écoutent attentivement les explications d'une enseignante: ce sont des fils de jihadistes du groupe Etat islamique, qui suivent un programme de réhabilitation.
Ils sont plus de 50 garçons âgés de 11 à 17 ans, dont des Français, des Américains, des Britanniques et des Allemands dans ce centre de réhabilitation d'Orkech, le premier du genre établi par l'administration kurde.
Des garçons en survêtement jouent au football dans la cour, d'autres suivent des cours d'arabe et d'anglais, de maths et même de musique. Ils peuvent jouer aux échecs et regarder documentaires et dessins animés.
L'objectif est de préparer ces garçons "à accepter les autres, à s'intégrer dans leur société à l'avenir et à se comporter normalement", déclare à l'AFP Aras Darwich, directeur du projet de réhabilitation.
Inauguré il y a six mois, le centre lourdement gardé, proche de la ville kurde de Qamichli, accueille des enfants et adolescents transférés des deux camp du nord-est de la Syrie, Roj et al-Hol, où sont détenus des proches de jihadistes.
D'autres élèves du centre étaient détenus à la prison de Ghwayran, cible d'une attaque sanglante de l'EI en janvier 2022 pour tenter de libérer des détenus de ce groupe.
- "Grande différence" -
Le centre est ouvert aux garçons, davantage exposés au risque de radicalisation. "Daech (acronyme arabe de l'EI, ndlr) a besoin de garçons pour pouvoir se reconstituer militairement", explique un responsable de l'administration kurde, Khaled Remo.
Les forces kurdes, soutenues par la coalition internationale antijihadistes, ont été le fer de lance de la lutte contre l'EI, défait en 2019 en Syrie après avoir fait régner la terreur dans certaines parties du pays.
Depuis, l'administration kurde détient des milliers de combattants jihadistes dans ses prisons et des dizaines de milliers de membres de leurs familles dans ces deux camps.
Le centre propose des séances de soutien psychologique à ces enfants de jihadistes.
Dans les salles de classe, des dizaines de dessins des élèves sont accrochés aux murs.
"On voit une grande différence entre le jour où les enfants sont arrivés et aujourd'hui", explique à l'AFP la conseillère psychologique du centre, Rim al-Hassan.
"Au début, certains refusaient d'assister à des cours avec des enseignantes", en raison de la ségrégation des sexes qui était imposée par l'EI. "A présent, on assiste à une amélioration progressive, bien que lente", ajoute cette femme de 28 ans.
Les garçons sont encouragés à s'exprimer par le dessin. L'un d'eux dessine un coucher de soleil, dans des teintes roses et orangées. Dans une autre salle, une enseignante leur enseigne des mots d'anglais.
- Lenteurs diplomatiques -
Le bâtiment de deux étages, qui comprend un dortoir, une cantine et des salles de classe, est équipé de caméras de surveillance.
L'administration kurde avait ouvert un premier centre en 2017, destiné à la réhabilitation d'anciens jihadistes.
Le sort des jihadistes et de leurs familles constitue un casse-tête pour l'administration kurde autonome qui gère ces régions du nord-est de la Syrie.
Elle réclame constamment le rapatriement des familles de jihadistes dans leurs pays d'origine, mais la plupart des pays concernés se contentent de retours au compte-goutte.
Le camps d'al-Hol renferme à lui seul 56.000 personnes, femmes et enfants pour la plupart, incluant plus de 10.000 proches de combattants étrangers de l'EI.
En décembre, l'ONG Save the Children avait averti qu'environ 7.000 enfants étrangers, "piégés" dans les camps d'al-Hol et Roj, étaient exposés à des risques d'attaques et de violences.
Les enfants à al-Hol "risquent quotidiennement d'être endoctrinés", a souligné samedi le Commandement militaire américain pour le Moyen-Orient (Centcom), ajoutant que les adolescents dont les parents sont étrangers "ont exprimé le désir de rentrer dans leur pays d'origine".
Le sort des enfants du centre de réhabilitation, une fois qu'ils sont majeurs, est un autre problème pour l'administration kurde.
Deux options se présentent: mettre en place un nouveau programme de réhabilitation adapté à leur âge ou exercer des pressions diplomatiques pour qu'ils soient rapatriés, ajoute M. Remo.
"Nous ne voulons pas que les enfants restent en permanence dans ces centres, mais les efforts diplomatiques sont lents", explique-t-il.
Pour lui, si l'expérience réussit, cela permettra de "sauver la région de l'émergence d'une nouvelle génération d'extrémistes".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.