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L'Iran et le Kurdistan d'Irak, vers une "normalisation" accélérée?


Jeudi 12 septembre 2024 à 14h35

Bagdad, 12 sept 2024 (AFP) — "Nous avons de bons rapports". Lors de son premier déplacement en Irak, le nouveau président iranien Massoud Pezeshkian a salué, en dialecte kurde, un réchauffement des relations avec le Kurdistan irakien où Téhéran a mené des bombardements ces derniers années.

Comment l'Iran et le Kurdistan d'Irak, allié traditionnel de Washington et des Européens, ont-ils réussi à aplanir leur contentieux?

Pourquoi Téhéran bombardait le Kurdistan?

Ces dernières décennies, l'Iran reprochait au Kurdistan d'abriter des mouvements armés de l'opposition kurde iranienne, présents dans cette région depuis les années 1980, avec la bénédiction du président Saddam Hussein, alors en guerre contre l'Iran (1980-88).

Des deux côtés de la frontière, les Kurdes d'Irak et d'Iran parlent le même dialecte et partagent des liens familiaux. Les groupes iraniens, souvent très à gauche politiquement et fustigeant les discriminations dont souffrent les Kurdes d'Iran, ont continué à attirer des partisans, fuyant la répression politique en République islamique.

C'était le cas du Komala ou encore du Parti démocratique du Kurdistan d'Iran, qualifiés de "terroristes" par Téhéran.

Jusqu'à très récemment, ces mouvements disposaient en Irak de combattants armés mais niaient mener des attaques contre l'Iran depuis le Kurdistan.

Néanmoins Téhéran les avait accusés de s'infiltrer sur son territoire, pour attaquer ses forces. L'Iran estime aussi que ces mouvements ont alimenté les manifestations après la mort de Mahsa Amini, jeune Kurde iranienne décédée en septembre 2022 à son interpellation par la police des moeurs.

Après ces manifestations, l'Iran a bombardé ces partis au Kurdistan. Pour faire cesser ces bombardements, Bagdad a signé avec Téhéran en mars 2023 un accord de sécurité. Objectif: désarmer ces groupes iraniens et les éloigner de la frontière.

Après avoir "désarmé les groupes séparatistes", le gouvernement irakien a fermé "77 bases près de la frontière iranienne" et transféré les membres des groupes kurdes iraniens vers six camps, près d'Erbil et de Souleimaniyeh, a annoncé mardi le conseiller irakien à la sécurité nationale, Qassem al-Aaraji, à la télévision d'Etat iranienne.

"Bientôt, des préparatifs seront menés pour leur départ d'Irak vers un pays tiers", a-t-il ajouté sans préciser où.

Quelle normalisation?

Les relations entre Téhéran et le gouvernement du Kurdistan irakien sont désormais au beau fixe: les dirigeants des deux bords ont enchaîné visites et déclarations optimistes.

Nechirvan Barzani, président du Kurdistan, et son cousin Masrour Barzani, Premier ministre de la région, étaient aux funérailles du président iranien Ebrahim Raïssi, tué dans un accident d'hélicoptère en mai.

De même, l'ancien chef de la diplomatie iranienne par intérim, Ali Bagheri, était en juin à Erbil, capitale du Kurdistan.

"Nous avons de bons rapports avec le Kurdistan, et nous oeuvrons pour les améliorer", a lancé mercredi en souriant M. Pezeshkian, en Kurde, au micro de la télévision kurde Rudaw, au premier jour de sa visite à Bagdad avant de se rendre jeudi au Kurdistan.

En se rendant plusieurs fois à Téhéran en quatre mois, Nechirvan Barzani s'est entretenu avec le guide suprême l'ayatollah Ali Khamenei, "le vrai centre du pouvoir" rappelle le politologue Adel Bakawan.

"Nous sommes désormais dans la normalisation", résume ce directeur du Centre Français de Recherche sur l'Irak. Du point de vue du Kurdistan, "pour protéger sa sécurité, sa stabilité, son développement économique, il faut absolument normaliser ses relations avec l'Iran".

Quels défis?

Au gré des soubresauts géopolitiques du Moyen-Orient, Téhéran a aussi bombardé le Kurdistan en l'accusant d'accueillir le Mossad israélien.

Mi-janvier, dans un contexte régional explosif alimenté par la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza, l'Iran a tiré des missiles sur le Kurdistan irakien pour détruire selon elle "un quartier général" où opérait le Mossad. Des accusations démenties par le pouvoir fédéral à Bagdad et les Kurdes irakiens.

Le rapprochement initié par Erbil avec Téhéran peut aussi se lire à la lumière du recul américain au Moyen-Orient, pronostique M. Bakawan.

"Plus les Etats-Unis se désengagent du Moyen-Orient, d'Irak, du Kurdistan irakien, plus Erbil devient faible face à Bagdad (...) fortement soutenu par l'Iran", estime-t-il.

D'ailleurs, l'Irak négocie le retrait de son territoire des militaires américains, engagés dans le cadre d'une coalition antijihadiste, et cibles ces dernières années d'attaques revendiquées par des groupes irakiens pro-Iran.

Mais un "partenariat sécuritaire" entre Bagdad et Washington est prévu.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.