Mardi 3 decembre 2024 à 17h29
Washington, 3 déc 2024 (AFP) — L'escalade militaire dans le nord de la Syrie remet ce pays au centre de l'attention pour les États-Unis, qui avaient tenté il y a des années de tourner la page d'un conflit dévastateur.
Pour la première fois depuis le début de la guerre civile en 2011, le régime syrien a perdu totalement le contrôle d'Alep, la deuxième ville du pays, tombée aux mains d'une coalition de groupes rebelles dominée par des islamistes radicaux.
Ce regain de tension survient à quelques semaines du retour à la Maison Blanche de Donald Trump, qui pourrait y voir une opportunité inattendue de redessiner le Moyen Orient.
L'offensive rebelle a aussi coïncidé avec l'entrée en vigueur d'un cessez-le-feu au Liban entre Israël et le Hezbollah, allié de la Syrie et de l'Iran, sorti affaibli de la guerre. La Russie, autre soutien du président syrien Bachar al-Assad, est quant à elle accaparée par la guerre en Ukraine.
La position américaine sur la Syrie a peu changé depuis une décennie. Les Etats-Unis estiment que M. Assad a perdu toute légitimité, mais l'écarter du pouvoir n'est pas leur priorité, les rebelles ne représentant pas selon eux une meilleure alternative.
Selon Andrew Tabler, ex-conseiller de Donald Trump sur la Syrie, le président Joe Biden "n'a pas seulement relégué la Syrie au second plan, il l'a complètement évincée du tableau".
Les revers subis sur le champ de bataille pourraient, selon lui, enfin contraindre M. Assad à une solution négociée, à laquelle il s'est longtemps opposé.
"Un nouveau gouvernement (américain) plus attentif à la Syrie et aux conflits de ce type sera mieux à même de gérer la situation", ajoute-t-il.
- "Nuire à l'Iran et la Russie" -
L'ancien président Barack Obama avait refusé d'attaquer Bachar al-Assad ou de soutenir les rebelles, et opté pour une alliance avec les combattants kurdes dans le but de vaincre le groupe État islamique (EI). Quelque 900 soldats américains sont encore en Syrie dans ce cadre-là.
Lors de son premier mandat, Donald Trump avait ordonné le retrait des troupes américaines à la demande de la Turquie, qui considère les Kurdes comme une menace, avant de faire marche arrière à la suite d'appels internationaux menés par la France.
Mais l'incertitude subsiste sur les intentions de Donald Trump, qui a notamment nommé à la tête du Renseignement national Tulsi Gabbard, connue pour avoir par le passé fait des déclarations favorables au président syrien.
Joshua Landis, expert de la Syrie à l'université de l'Oklahoma, rappelle que le premier objectif des décideurs américains a toujours été de "soutenir Israël, et nuire à l'Iran et la Russie."
"Donc l'offensive des rebelles est une bonne chose pour l'Amérique de ce point de vue, car cela change l'architecture de la sécurité au Moyen-Orient de façon spectaculaire", ajoute-t-il.
Selon lui, leur victoire permettrait de couper le "croissant chiite", dans lequel l'Iran a étendu son influence vers l'ouest jusqu'au Liban. "Ce serait une aubaine pour Israël et un coup de massue pour l'Iran".
Mais les islamistes sunnites s'opposeraient aussi aux Etats-Unis, et se poserait à nouveau la question de protéger ou non les Kurdes de la Turquie.
- "Dynamiques fluctuantes" -
"Cela présente un dilemme pour les Etats-Unis et Israël: préfèrent-ils réellement un gouvernement islamiste à la tête de la Syrie ou un pays divisé et faible?", ajoute M. Landis.
Le gouvernement de Joe Biden a dédié plus d'un milliard de dollars au cours de l'année écoulée en aide humanitaire pour les déplacés syriens, donnant tort à ceux qui critiquent son inaction.
Une loi américaine qui expire à la fin du mois vise à empêcher la normalisation des échanges commerciaux avec Damas tant que des comptes n'ont pas été rendus pour les atrocités commises par les responsables syriens.
La guerre a commencé après la répression des manifestations antigouvernementales en 2011 et a fait plus de 500.000 morts et des millions de déplacés.
Mais nombre de pays arabes se sont réconciliés avec le président Bachar Al-Assad, pensant que la guerre était terminée ou du moins gelée.
Récemment, plusieurs pays occidentaux dont l'Italie, soucieux d'éviter un nouvel afflux de migrants syriens, ont annoncé le retour d'un représentant à Damas.
"Avec ces dynamiques de pouvoir fluctuantes, la porte s'ouvre-t-elle pour une redéfinition de la région et de son architecture sécuritaire? C'est une question importante et ouverte", souligne Mona Yacoubian, experte à l'Institut pour la paix américain.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.