Samedi 19 octobre 2019 à 18h04
Berlin, 19 oct 2019 (AFP) — Mohamed Zidik, un kurde-syrien de 76 ans, continue d'aller chercher tous les jours à Berlin son pain et ses pâtisseries chez son voisin turc, mais il sait qu'il ne vaut mieux pas y parler politique.
Saccage de commerces, agression au couteau, insultes... Les esprits s'échauffent entre les deux communautés depuis peu et l'Allemagne, où vivent les plus grandes diasporas turque et kurde d'Europe, redoute une importation du conflit en cours dans le nord de la Syrie.
"Je sais qu'avec ce président (turc Erdogan, ndlr), une phrase de trop et hop la prison !", affirme Mohamed Zidik, ingénieur à la retraite.
Il passe sa journée dans le centre culturel kurde de Neukölln, un quartier populaire de Berlin, où il regarde, sur la télévision kurde, l'avancée des troupes turques au nord de la Syrie. Le septuagénaire y a trois soeurs, dont il est sans nouvelles depuis une semaine.
Dans le petit local berlinois, une rangée de talkie-walkies est en train de charger. Ils seront utilisés ce samedi par le service d'ordre de la communauté kurde pour la journée de mobilisation.
- Salut du loup -
"Pour le moment, les manifestations, c'est tout ce qu'il nous reste", reconnaît, amer, Mohamad Khalil, étudiant kurde de 23 ans, arrivé à Berlin en 2015 via la dangereuse route des Balkans.
Samedi, quelque 10.000 manifestants pro-Kurdes selon la police - soit moins que prévu - ont défilé dans le calme à Cologne dans le cadre d'une journée de mobilisation dans plusieurs villes européennes. Les autorités avaient dit redouter des violences.
De précédentes manifestations avaient donné lieu à des dérapages, comme lundi soir à Herne, dans l'ouest du pays.
Au passage d'un cortège de manifestants kurdes, des Turcs avaient fait le "salut du loup", un geste de ralliement de l'extrême droite nationaliste turque, considéré comme l'ultime provocation par leurs opposants.
Une bagarre éclate. Cinq personnes sont légèrement blessées. Ce geste qui mime une tête de loup, est toléré en Allemagne mais banni en Autriche depuis 2018.
A Berlin, le même jour, c'est un jeune arborant une veste à l'effigie du drapeau turc qui a été agressé au couteau par une bande de 15 personnes.
La situation en Turquie, de la tentative de putsch anti-Erdogan aux offensives anti-kurdes, finit toujours par atteindre l'Allemagne, où vivent près de trois millions de Turcs ou Kurdes.
"Nous sommes assis sur un baril de poudre" en Allemagne, estime le politologue turc Burak Copur sur la chaîne ZDF. "Les émotions ici ne peuvent être vues indépendamment de la situation en Turquie, qui se reflète en Allemagne", ajoute-t-il.
Une partie non négligeable des Turcs d'Allemagne assume sa sympathie envers le régime d'Ankara.
- "Terroristes" -
"Nous envoyons la mort dans l'âme nos soldats pour libérer les enfants et les familles syriennes" de l'emprise des "terroristes du PKK", le Parti des travailleurs du Kurdistan, qui mène une sanglante guérilla contre la Turquie depuis plusieurs décennies, dit Melahart Yavas, employée dans une école de conduite berlinoise.
"Turcs et Kurdes nous vivons, travaillons et même parfois nous marions ensemble là-bas comme ici en Allemagne", tempère-t-elle toutefois, "mon collègue, là, eh bien il est Kurde et ça ne me fait rien, mais le PKK c'est autre chose".
Les tensions ont gagné les terrains de football. Cinq joueurs d'équipes régionales allemandes ont imité les internationaux turcs et effectué un salut militaire après avoir marqué un but. Un geste passible de sanctions.
Mais pour les Kurdes allemands, c'est en premier lieu le réseau de mosquées DITIB, financé par Ankara, qui attise la haine anti-kurde, en marge des prières.
La puissante association religieuse turque se défend toutefois auprès de l'AFP "d'avoir planifié d'aucune manière que ce soit" une campagne en ce sens.
Cezal Vedat, 43 ans, patron d'une agence de voyage pour la Turquie à Berlin, espère que le conflit dans le nord de la Syrie va vite être résolu. "Moi, je ne rentre au pays qu'une fois par an, mes amis kurdes encore moins. On est bien ici, alors qu'ils s'assoient tous à une table, qu'ils trouvent une solution et qu'ils nous laissent vivre tranquilles ici en Allemagne", dit-il.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.