Mercredi 4 juin 2014 à 06h15
Souleimaniyeh (Irak), 4 juin 2014 (AFP) — De nombreux jeunes Kurdes ne parlent pas, ou mal, l'arabe pratiqué par le reste des Irakiens, une barrière linguistique avec le reste du pays lié à un sursaut nationaliste après la répression menée contre leur communauté par Saddam Hussein.
La plupart des Arabes irakiens ne parlant pas non plus le kurde, cela signifie qu'une partie des jeunes de ces deux communautés les plus importantes du pays n'ont pas de langue en commun. Un problème de communication qui s'ajoute à une multitude de querelles entre le gouvernement fédéral et la région autonome du Kurdistan, dans le nord du pays.
Si une génération plus âgée de Kurdes parle davantage l'arabe, ayant grandi quand le Kurdistan avait moins, voire pas du tout d'autonomie, les jeunes privilégient eux l'anglais.
"Nous préférons l'anglais, parce que l'arabe peut seulement être utile au Moyen-Orient, tandis que l'anglais est utilisé dans la majeure partie du monde", explique Ayyub Bahaeddin, étudiant dans la deuxième ville du Kurdistan, Souleimaniyeh.
Joana, professeur de mathématiques, acquiesce: "Je comprends l'arabe, mais je ne le parle pas", ajoutant: "je n'aime pas" cette langue.
- Réaction après la répression -
Le désintérêt des jeunes Kurdes pour la langue arabe apparaît comme une réaction après des années de répression menée par le régime du dictateur défunt Saddam Hussein.
Près de 180.000 Kurdes ont été tués en 1987-1988 durant l'opération Anfal, via notamment l'utilisation massive d'armes chimiques et des exécutions sommaires, et plus de 3.000 villages détruits.
Le régime a forcé des milliers de Kurdes à quitter leurs foyers afin d'être remplacés par des Arabes, dans le cadre d'une politique d'"arabisation".
Après avoir été confronté à un soulèvement en 1991, Saddam Hussein a imposé un embargo à la région kurde sur les vivres et l'essence qui perdurera jusqu'à la chute du régime en 2003. Isolée, la région a gagné parallèlement en autonomie.
"Au début des années 90 (...), soudainement vous avez cette nouvelle liberté d'être Kurde, un gouvernement kurde et un drapeau kurde", rappelle Qoubad Talabani, récemment nommé vice-Premier ministre de la région du Kurdistan.
En "réaction, après avoir été libérés de Saddam", les jeunes se sont détournés de l'arabe, signe également "peut-être d'un rejet de l'Irak", ajoute le fils de l'actuel président irakien.
"Une nouvelle génération apprend aujourd'hui l'arabe à l'école, mais il y a une génération au milieu qui ne parle pas" cette langue, dit-il.
"Certaines personnes se demandent: 'Pourquoi devrions-nous apprendre la langue d'un gouvernement qui a opprimé son peuple?'", souligne Payman Ali Mohammed, principale d'un collège à Soulaimaniyeh.
"Mais si tu veux comprendre ton ennemi, il faut d'abord apprendre sa langue", juge-t-elle, en soulignant qu'un nouveau programme d'enseignement de l'arabe a été mis en place dans certaines écoles, après que des professeurs eurent constaté que "beaucoup d'élèves ne savaient même pas écrire une courte composition".
- Pas d'identité irakienne -
Le kurde et l'arabe sont reconnus comme langues officielles en Irak, mais dans la pratique, l'arabe est utilisé au niveau fédéral, et le kurde au sein du gouvernement et de l'administration du Kurdistan.
Si la plupart des programmes télévisés, des journaux et des livres étaient autrefois en arabe, les publications et médias en kurde se sont multipliées depuis une vingtaine d'années, ce qui n'incite pas non plus les Kurdes à maîtriser l'arabe.
L'enseignement du kurde est de son côté limité dans le reste de l'Irak.
A moins de devoir se rendre dans cette région pour des vacances ou pour affaires, les Arabes irakiens ont peu d'occasions d'utiliser cette langue, d'autant que les Kurdes se rendent peu dans le reste du pays, en raison des violences quotidiennes qui le frappent.
Questions territoriales, ressources naturelles, dont le pétrole, partage de pouvoirs... Divers conflits opposent par ailleurs le Kurdistan irakien et le gouvernement fédéral.
Ces querelles ont rendu l'idée d'une indépendance du Kurdistan de plus en plus populaire au sein d'une partie de la population, un mot d'ordre qui n'a néanmoins pas été repris par les principaux partis politiques kurdes.
"Le facteur clé pour créer un pays unifié" est que les gens "sentent qu'ils (en) font partie", souligne M. Talabani. Mais "l'Irak aujourd'hui n'a pas sa propre identité. L'Irak est composé d'une multitude d'identités. Il n'y a rien qui lie ces différentes identités ensemble".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.