Dimanche 8 decembre 2024 à 19h02
Istanbul, 8 déc 2024 (AFP) — Le renversement du gouvernement de Bachar al-Assad, ennemi d'Ankara, renforce le poids régional de la Turquie, qui dispose désormais d'une influence accrue en Syrie, soulignent les experts.
"En tant que principal soutien des rebelles, la Turquie est le grand gagnant dans la région" de la chute de Bachar al-Assad, estime Paul Salem, vice-président du Middle East Institute (MEI), à Washington.
Pour autant, au moment où la Syrie plonge dans l'inconnu, "ce succès implique la responsabilité (pour Ankara) de participer à une transition réussie", note-t-il.
Par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Hakan Fidan, la Turquie s'est ainsi dit prête dimanche à aider la Syrie à "garantir sa sécurité" et "panser ses plaies".
Le chef de la diplomatie turque, appelant de ses voeux une "transition en douceur" à Damas, a dit espérer le retour de millions de réfugiés syriens dans leur pays.
Trois millions d'entre eux vivent sur le sol turc, alimentant un fort sentiment antisyrien dans la population.
"La perspective d'un retour des réfugiés syriens renforcera le soutien" à Erdogan dans l'opinion publique turque, prédit Gönül Tol, directrice du programme Turquie au Middle East Institute.
- "nouveau patron" -
L'experte souligne aussi que, sur le front de la politique étrangère, la chute d'Assad va rebattre les cartes entre Ankara et Moscou, allié jusqu'ici de Damas au côté de Téhéran.
"La Turquie jouira d'un meilleur rapport de force dans ses relations avec la Russie", affirme Mme Tol, pour qui la guerre en Syrie avait rendu Ankara "vulnérable" aux décisions de Moscou, les bombardements russes sur le nord-ouest du pays ayant fait redouter jusqu'à récemment un nouvel afflux de réfugiés à la frontière turque.
"L'influence de la Turquie va s'accroître à Damas, au détriment de l'Iran et de la Russie", abonde Soner Cagaptay, du Washington Institute of Near East Policy, qui estime qu'Ankara doit désormais aider le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui a mené l'offensive rebelle, à "obtenir une reconnaissance internationale" et à "se débarrasser de la Russie et de l'Iran".
"Et cela ne fonctionnera pas si la Turquie se comporte comme le nouveau patron de la Syrie", avertit-il.
Sinem Adar, du Centre d'études appliquées sur la Turquie (CATS) à Berlin, estime qu'"il est trop tôt" pour dire si la Turquie est le "gagnant" des développements chez son voisin.
"Beaucoup dépendra de la dynamique entre les acteurs locaux, en particulier le HTS et les FDS", les Forces démocratiques syriennes dominées par les Kurdes, qui ont tenté dans ses premiers jours de tirer profit de l'offensive rebelle, "et de la dynamique entre le HTS et Ankara", souligne la chercheuse sur X.
- "blason nationaliste" -
Le bouleversement des équilibres dans le Nord syrien est aussi l'occasion pour la Turquie d'éloigner de sa frontière les Unités de protection du peuple (YPG), alliées des Occidentaux dans la lutte contre l'Etat islamique (EI) mais considérées par Ankara comme une émanation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), son ennemi juré.
Des combattants proturcs participant à l'offensive rebelle ont ainsi repris la semaine dernière aux forces kurdes le contrôle de la ville de Tal Rifaat, située en lisière d'une "zone de sécurité" occupée par la Turquie dans le nord de la Syrie.
Le chef de la diplomatie turque a redit dimanche veiller à ce que les combattants kurdes n'étendent pas leur influence en Syrie "en profitant de la situation", au moment où les télévisions turques annonçaient que des factions proturques "nettoyaient" la région de Manbij, au nord-est d'Alep, de la présence des YPG.
"Nous sommes en contact avec nos amis américains à ce sujet. Ils savent à quel point nous sommes sensibles à la question du YPG et du PKK", a déclaré dimanche le ministre turc des Affaires étrangères.
Pour Gönül Tol, outre les considérations purement sécuritaires, "Erdogan pourra utiliser (l'image de) YPG affaiblies pour redorer son blason nationaliste dans son pays".
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Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.