Mercredi 16 octobre 2024 à 05h02
Erbil (Irak), 16 oct 2024 (AFP) — "Il n'y a plus de confiance", lâche Sanaa, couturière à Erbil, capitale du Kurdistan d'Irak. Toute sa famille compte boycotter dimanche les législatives locales dans la région autonome, dominée depuis des décennies par les deux mêmes clans politiques rivaux.
Le scrutin du 20 octobre aurait dû se tenir il y a deux ans, pour élire la centaine de députés siégeant au Parlement de la région du nord de l'Irak. A quatre reprises, les élections ont été repoussées en raison des divergences entre les deux formations historiques: le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l'Union patriotique du Kurdistan (UPK).
Autonome depuis 1991, alliée aux Etats-Unis et aux Européens, la région se présente comme une oasis de stabilité propice aux investissements étrangers.
Mais derrière les belles autoroutes et les hautes tours de verre rutilantes, militants et opposition dénoncent les mêmes maux qui sévissent dans le reste du pays riche en pétrole: corruption, répression des voix dissidentes, clientélisme pratiqué par les clans au pouvoir.
"Je ne vais pas voter, parce qu'ils ne font rien", résume Sanaa, 33 ans, lors d'une flânerie au souk d'Erbil, utilisant un pseudonyme par craintes de représailles.
"Tous les sujets qui me préoccupent, ils s'en moquent", assène-t-elle, en allusion aux politiciens. "On n'a pas d'argent, tout coûte cher".
Elle qui a scrupuleusement participé aux précédents scrutins, assure que tous ses proches ne voteront pas, même son fils à peine majeur. "C'est fini, il n'y a plus de confiance".
Sur une place au pied de la citadelle pluricentenaires d'Erbil, bastion du PDK où le clan Barzani est au pouvoir, des fanions aux couleurs du parti sont partout accrochés.
A Souleimaniyeh, deuxième ville du Kurdistan, c'est l'UPK et les Talabani qui tiennent les rênes.
- "Désenchantement" -
Sur les six millions d'habitants du Kurdistan, 2,9 millions sont inscrits pour voter dans quatre circonscriptions.
Au Parlement sortant, le PDK avait 45 sièges et jouissait d'une majorité relative --en s'alliant avec d'autres députés élus via un quota réservé aux minorités chrétiennes et turkmènes.
Quant à l'UPK, il avait 21 sièges.
A la veille du scrutin, le politologue Shivan Fazil évoque un "désenchantement en hausse pour la politique" et "une lassitude grandissante vis-à-vis des deux partis au pouvoir".
"Cette dernière décennie les conditions de vie se sont détériorées", explique-t-il, rappelant que "le chômage augmente, particulièrement parmi les jeunes, avec des cohortes qui risquent leur vie et tentent l'immigration illégale vers l'Europe".
Il cite le versement erratique des salaires des 1,2 million de fonctionnaires, "source essentielle de revenus pour les ménages". Un dossier qui dépend notamment des tensions entre le Kurdistan et le pouvoir fédéral de Bagdad.
Pour les deux partis, dotés de solides réseaux partisans, "le défi principal sera de préserver les votes déjà obtenus", confirme le commentateur Sarteep Jawhar, dissident de l'UPK.
Sources de mécontentement chez les électeurs, il pointe le "manque de services" publics et la "terreur" provoquée par bombardements et opérations militaires de l'armée turque dans la région contre les combattants kurdes turcs du PKK, le Parti des travailleurs du Peuple.
- Emplois des jeunes -
Autre fragilité du pouvoir: l'arrêt des exportations de pétrole menées autrefois par Erbil sans l'aval de Bagdad et source de financements cruciaux. Depuis plus d'un an, la région en est privée, à cause d'un arbitrage international initié par Bagdad.
Aux dernières législatives régionales de 2018, le taux de participation s'élevait à 59%. Aujourd'hui, un vote-sanction pourrait favoriser des partis d'opposition comme "Nouvelle génération" ou encore une formation naissante de Lahour Cheikh Zengi, dissident du clan Talabani.
Une fois élus, les députés devront voter pour remplacer le président et le Premier ministre de la région autonome, Nechirvan et Masrour Barzani, figures du PDK.
Comprenant autrefois 111 députés, le Parlement kurde a vu son nombre de sièges réduit à 100, par une décision du Tribunal fédéral suprême, qui supprimait en février un quota de 11 sièges réservés aux minorités. La justice a finalement rétabli ce quota --cinq sièges sur 100.
Dans un café d'Erbil, Moustapha Mahmoud, 52 ans, annonce voter pour le PDK --même si ses espérances sont limitées.
"Après les élections précédentes, on n'a jamais constaté d'améliorations", reconnaît-il. Il concède "quelques changements" mais "pas à la hauteur des attentes".
Il pointe du doigt les dossiers sécuritaires et économiques, réclamant notamment "des possibilités d'emplois" pour les "jeunes diplômés sans travail."
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.