Lundi 21 novembre 2022 à 14h17
Bagdad, 21 nov 2022 (AFP) — Confronté à des manifestations qui ne faiblissent pas sur son territoire depuis plus de deux mois, l'Iran a durci le ton et bombardé à plusieurs reprises le Kurdistan d'Irak voisin, refuge d'une virulente opposition kurde iranienne.
- Qui est visé en Irak?
Les Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique du régime iranien, ont procédé dimanche soir à des tirs de missiles et des frappes de drones kamikazes en Irak, ciblant les factions armées de l'opposition kurde iranienne et tuant un de leurs combattants.
Installées en Irak depuis les années 1980 -- souvent avec la bénédiction de Saddam Hussein alors en pleine guerre avec le voisin iranien -- ces factions sont qualifiées de "terroristes" par l'Iran qui les accuse d'attaques sur son territoire.
Après avoir longtemps mené une insurrection armée, ces partis très à gauche politiquement ont quasiment interrompu leurs activités militaires, assurent des experts.
Mais ces partis dénoncent toujours les discriminations dont souffrent la minorité kurde en Iran (environ 10 millions sur une population de 83 millions). Et soutiennent activement les manifestations quotidiennes qui secouent l'Iran depuis la mort en détention le 16 septembre de la jeune kurde iranienne Mahsa Amini.
Pour Aso Saleh, membre du comité exécutif à l'étranger du Parti démocratique du Kurdistan d'Iran (PDKI), les bombardements de dimanche ayant une fois encore visé sa formation en Irak sont liés à la situation intérieure en Iran.
"Les partis politiques parmi lesquels le PDKI soutiennent ces manifestations à travers nos plateformes médiatiques et nos ONG qui parlent de la brutalité du régime", poursuit-il.
Le PDKI assure toutefois ne pas utiliser le territoire irakien pour lancer des attaques contre les forces iraniennes, l'Irak accueillant uniquement la direction et l'appareil bureaucratique du groupe.
"Nos bases et nos forces sont en Iran, au Kurdistan d'Iran, près de notre peuple", souligne M. Saleh: "Nous sommes prêts à défendre notre peuple de quelque manière que ce soit".
- Jusqu'où peut aller Téhéran?
Le 14 novembre, des bombardements similaires de Téhéran ont fait un mort et huit blessés au Kurdistan d'Irak. Et des frappes meurtrières ont eu lieu le 28 septembre.
Pour l'analyste irakien Ali al-Baidar, l'Iran cherche à "exporter la crise iranienne". Objectif: "obliger le Kurdistan d'Irak à faire pression sur les partis kurdes iraniens pour qu'ils mettent un terme à leurs activités", ajoute le politologue.
Mais "cela ne va pas mettre fin aux manifestations à Téhéran, qui sont allées en s'élargissant", estime-t-il.
Lundi encore, le porte-parole de la diplomatie iranienne, Nasser Kanani, a déclaré que son pays souhaitait que "le territoire irakien ne soit pas utilisé pour menacer la sécurité de l'Iran".
"Nous avons insisté auprès des autorités irakiennes et de la région du Kurdistan sur le fait que cette région ne devait pas être un lieu de transit de matériel et d'armes pour être utilisés dans des troubles", a-t-il martelé.
Et il a appelé Bagdad à empêcher "les activités des groupes séparatistes et terroristes", réclamant le déploiement de "gardes" à la frontière, "afin que l'Iran n'ait pas à prendre des mesures dissuasives".
Les bombardements interviennent quelques jours seulement après une discrète visite en Irak de l'influent général iranien Esmaïl Qaani, commandant de la Force Qods, qui a rencontré les principaux hommes politiques du pays.
Selon un responsable proche d'un influent politicien chiite à Bagdad, le général iranien très en colère a fait planer la menace d'une "opération aéroportée limitée contre l'opposition (iranienne) au Kurdistan".
- Quelles réponses en Irak?
Le Kurdistan irakien a dénoncé "des violations iraniennes répétées" de sa souveraineté. Mais le silence est assourdissant à Bagdad: pas un dirigeant n'a commenté les derniers bombardements de l'influent parrain iranien.
Malgré cela, même si le pouvoir de Bagdad est très proche de Téhéran, difficile de voir "le nouveau gouvernement irakien exercer plus de pression sur ces groupes" iraniens, estime Shivan Fazil, chercheur au Stockholm International Peace Research Institute.
"Le gouvernement irakien a une autorité limitée dans les territoires du Kurdistan", rappelle-t-il.
Quant aux autorités d'Erbil, capitale régionale, si elles condamnent l'attaque, "dans le même temps elles disent ne pas vouloir que leur territoire ne devienne une rampe de lancement contre les voisins".
Un "exercice d'équilibriste" selon M. Fazil, au moment où Erbil "subit plus de pression" avec la répétition des frappes.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.