Dimanche 26 juin 2022 à 08h02
Paris, 26 juin 2022 (AFP) — Quelques "révélations" mais encore beaucoup de zones d'ombre: alors que s'achève le procès des attentats du 13 novembre 2015, il reste toujours de nombreuses questions sans réponse.
Les "aveux" incomplets d'Abdeslam
Salah Abdeslam a parlé. Muet durant l'instruction, il est bravache au début du procès: "je suis un combattant de l'Etat islamique".
Au gré de ses interrogatoires, le seul membre encore en vie des commandos du 13-Novembre a finalement expliqué à la cour qu'il avait pour mission de se faire exploser dans un bar du XVIIIe arrondissement de Paris mais qu'il avait volontairement renoncé à le faire "par humanité".
Celui que l'on a vu pleurer à l'audience a même fini par demander pardon aux victimes.
Mais a-t-il tout dit ? Assurément non.
Salah Abdeslam a ainsi nié être informé du projet d'attentat des membres du commando venus de Syrie qu'il est allé chercher en Allemagne et en Hongrie, en août et octobre 2015. C'était des "rapatriements humanitaires", a-t-il dit en osant une comparaison hasardeuse avec la guerre en Ukraine.
"Que les choses soient claires, nous ne croyons pas un instant à cette fable", a tranché l'avocat général Nicolas Le Bris lors des réquisitions. "C'est une mission-clé: sans terroristes, pas d'attentats. Celui qui rapatrie les commandos est nécessairement quelqu'un en qui la cellule place toute sa confiance", a complété Camille Hennetier du parquet national antiterroriste (Pnat).
Salah Abdeslam est également resté vague sur la cible qui lui a été attribuée le 13 novembre 2015. "Je ne me souviens pas".
Selon lui, ce n'est que deux jours avant les attentats qu'Abdelhamid Abaaoud, le chef opérationnel des commandos, lui a demandé de porter une ceinture explosive.
Après avoir déposé les kamikazes du Stade de France, il a raconté être revenu à Paris pour accomplir sa mission.
"Je rentre dans le café, un bar pas très grand, avec beaucoup de monde. Je m'installe, je commande une boisson. Je regarde les gens autour de moi et je me dis que je vais pas le faire (...) J'ai renoncé par humanité, pas par peur. Je ne voulais pas les tuer".
Ensuite, poursuit-il, il repart avec sa voiture, qui tombe en panne. Il achète un téléphone et appelle un ami à qui il demande de venir le chercher.
Il prend un taxi pour le sud de Paris, où il abandonne sa ceinture (défectueuse, a révélé l'enquête). Il se cache dans un hall d'immeuble avant que deux amis venus de Bruxelles le récupèrent et le ramènent en Belgique, où il se réfugie dans une planque louée par la cellule jihadiste...
Pourquoi être allé au sud de Paris alors que ses amis venaient de Belgique ? A-t-il vraiment pris un taxi (jamais retrouvé) ou un métro où il aurait pu se faire exploser ? Dans un ordinateur, les enquêteurs ont déniché un organigramme avec un dossier intitulé "groupe métro".
Savait-il que sa ceinture était défectueuse ou a-t-il inventé un scénario en le découvrant ?
Autre question sans réponse, pourquoi Salah Abdeslam aurait-il agi seul alors que les commandos du Bataclan, des terrasses et du Stade de France étaient composés de trois personnes ?
L'origine inconnue des kalachnikovs
"Tac-tac-tac-tac"... Les rescapés des attaques du Bataclan ou des terrasses ont rappelé à la barre le son sec des armes utilisées par les assaillants du 13-Novembre.
Mais d'où venaient ces kalachnikovs ? Plus de neuf mois de procès n'ont pas permis de le savoir.
Sur le sujet, il faudra se contenter des explications parcellaires et pas toujours convaincantes des enquêteurs belges qui ont témoigné par visioconférence depuis Bruxelles.
Ils ont dit qu'une semaine avant les attentats, l'un des accusés, Mohamed Bakkali, aurait pris contact avec un certain Mohammed E. pour se procurer six kalachnikovs.
Interpellé et poursuivi en Belgique, Mohammed E. n'est pas jugé à Paris. Une enquêtrice belge a évoqué des contacts avec des Kurdes et des Tchétchènes dans la région de Liège.
Ces contacts ont-ils abouti ? Les vérifications tardives de cette piste, à partir de 2018, ne l'ont pas confirmé.
Une autre piste mène à Rotterdam (Pays-Bas) et à Ali El Haddad Asufi, un autre des accusés du procès.
L'enquête a démontré qu'en octobre 2015, il cherchait à se procurer des "Clio" auprès d'un de ses cousins. Des "Clio" ? De toute évidence, il ne s'agissait pas d'automobiles.
Interrogé par la police néerlandaise, son cousin a parlé d'un nom de code désignant du cannabis. Mais pour les enquêteurs, il est plus vraisemblable que le nom "Clio" cachait en fait un achat de kalachnikovs. Mais il n'en ont pas la preuve.
Six kalachnikovs ont été retrouvées sur les scènes de crime.
Roissy et Schiphol visés ?
Les aéroports de Roissy et de Schiphol à Amsterdam étaient-ils également visés le 13-Novembre ?
L'enquête a démontré que, tandis que les dix membres des commandos et Mohamed Abrini se rendaient en région parisienne le 12 novembre, d'autres membres de la cellule jihadiste sont restés à Bruxelles pour coordonner leurs attaques.
Parmi eux, le Suédois Osama Krayem et le Tunisien Sofien Ayari ont fait un aller-retour à Amsterdam le 13, quelques heures avant les attaques à Paris et Saint-Denis.
Pourquoi ? Un attentat était-il prévu à l'aéroport de Schiphol le 13 novembre ou ultérieurement ? A l'audience, Osama Krayem et Sofien Ayari ont choisi le silence.
Dans un ordinateur récupéré dans une poubelle à Bruxelles en mars 2016, les enquêteurs ont retrouvé un dossier "13-Novembre", créé six jours avant les attaques, avec cinq sous-dossiers dont un baptisé "Groupe Schiphol".
On ne saura pas non plus pourquoi le 13 novembre dans l'après-midi, la voiture qu'allait utiliser Salah Abdeslam pour déposer les kamikazes du Stade de France a fait une halte près du terminal 2 de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle.
S'agissait-il de récupérer ou de déposer quelqu'un ? De faire un repérage ? Près de dix mois d'audience n'ont pas permis de répondre à ces questions.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.