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La guerre s'est rapprochée d'Enichke, oublié dans les montagnes kurdes


Mercredi 24 octobre 2007 à 09h25

ENICHKE (Irak), 24 oct 2007 (AFP) — Georgis Hamon Chlemo a le sentiment d'être poursuivi par le destin. Ce chrétien a fui Bagdad pour échapper aux violences quotidiennes, et s'est installé dans la tranquillité du village de ses ancêtres, dans le Kurdistan irakien.

Mais, la semaine dernière, la guerre l'a rejoint à Enichke.

Six obus tirés par l'artillerie turque ont secoué en pleine nuit la petite bourgade endormie, à 20 km de la frontière. Il n'y a pas eu de victime, et les dégâts sont minimes. A peine peut-on voir les traces de terre retournée et d'herbes brûlées sur le lieu des impacts.

Pourtant, pour Georgis et les 450 habitants de ce petit bourg chrétien, à 250 km au nord d'Erbil, capitale du Kurdistan, les montagnes qui les entourent, et paraissaient infranchissables, ne semblent plus aussi sûres.

Quelque part, dans les replis du terrain escarpé, se cachent des combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe séparatiste considéré comme terroriste par Ankara, qui veut l'éliminer.

"Nous ne savons plus quoi faire. A Bagdad, je suis menacé en tant que chrétien. Et ici, je retrouve la violence", soupire Georgis, en égrenant un chapelet.

Les Kurdes du nord de l'Irak, qui bénéficient d'une large autonomie depuis plus de 15 ans, sont tiraillés entre le souci de préserver la stabilité et la prospérité de leur région, et la solidarité avec les rebelles kurdes de Turquie qui ont trouvé refuge chez eux.

"Nous n'avons jamais vu de combattants du PKK, ils ne viennent jamais ici", assure le maire du hameau, Demke Yalda, 56 ans, où la population assyro-chaldéenne parle encore l'araméen.

Vêtu à l'occidentale, le visage barré d'une épaisse moustache blanche, il ne veut pas que sa petite communauté soit victime d'une question qui la dépasse : la lutte sanglante qui oppose depuis près de 25 ans le PKK et l'armée turque.

"Heureusement, il n'y a pas eu de victimes, seules les vitres de quelques maisons ont été cassées", explique encore l'édile, commentant le premier bombardement turc en présence de villageois qui opinent à ces propos.

"Mais les habitants ont maintenant la peur au ventre, surtout les femmes et les enfants", poursuit-il.

L'anxiété a grandi avec les menaces d'incursion des soldats turcs, après une série de raids meurtriers récents du PKK, dans le sud anatolien, frontalier de l'Irak.

"Ils n'ont pas le droit de venir sur nos terres. Notre région est stable. Peut-être est-ce cela qui gêne le gouvernement turc?", suggère le maire d'Enichke, dont la majorité des électeurs sont des fermiers.

"Les Turcs, nous n'en voulons sous aucun prétexte", lance Matti Echo, 56 ans, un épicier du village. "C'est une dictature et ils ont massacré par le passé des Arméniens, des Assyriens et des Kurdes. Ce sont des criminels".

Pour Georgis, et ses coreligionnaires, il n'est pas question de fuir devant la montée des tensions. "Je ne partirai sous aucun prétexte. C'est mon village celui de mes ancêtres, où je vis au milieu de ma communauté".

Ici, ajoute-t-il, "nous pouvons sans problème pratiquer notre foi, un prêtre vient chaque dimanche célébrer la messe et nous vivons en paix, Kurdes ou arabes".

Dans sa petite boutique, où se mélangent les fruits, les fromages, les cannettes de bière et les bouteilles de whisky, Matti se désole pour son commerce. "Depuis ces événements, les citadins ne viennent plus respirer l'air pur de nos montagnes et économiquement nous allons péricliter", assure-t-il.

Dans la rue, devant son étal, des petites filles en jupe bleue et chemise blanche, cartable au dos, se pressent vers l'école.

Mais pour l'épicier d'Enichke, cette image est celle d'un bonheur en sursis: "Les Turcs vont venir. J'en suis sûr", laisse-t-il tomber.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.