Dimanche 25 mai 2008 à 10h12
SOULEIMANIYEH (Irak), 25 mai 2008 (AFP) — Le Kurdistan irakien est loin d'être parvenu à éradiquer les "crimes d'honneur", comme en témoigne notamment une recrudescence des tentatives de suicide de femmes menacées par ce fléau au sein de la région autonome.
"Au moins 14 femmes sont mortes au cours des dix premiers jours du mois de mai", a indiqué au correspondant de l'AFP une source médicale à Souleimaniyeh (330 km au nord de Bagdad), deuxième plus grande ville du Kurdistan irakien.
Sept se sont suicidées et les sept autres ont été "tuées dans des circonstances violentes et non élucidées", vraisemblablement liées à des "crimes d'honneur", a précisé ce médecin sous couvert d'anonymat.
"Pendant la même période, nous avons enregistré onze autres tentatives de suicide par le feu, ces femmes désespérées se sont immolées."
Selon les chiffres du ministère de la Santé du gouvernement autonome kurde, plus de 50 femmes ont tenté de se suicider en s'immolant par le feu de janvier à avril 2008, uniquement pour la région de Souleimaniyah (nord-est du Kurdistan). Huit autres ont voulu se donner la mort par pendaison.
Entité de facto indépendante par rapport au gouvernement de Bagdad et alliée des Etats-Unis, le Kurdistan irakien est la région la plus sûre d'Irak et connaît une forte prospérité économique depuis l'invasion américaine de 2003.
L'ONU s'alarme régulièrement du sort des femmes au Kurdistan, qui sont la proie de "crimes d'honneur" perpétrés le plus souvent par des proches pour des conduites soi-disant "immorales".
Par désespoir, de nombreuses femmes tentent de se suicider pour échapper à ces violences.
Cette situation a poussé les autorités locales à réagir, avec notamment la création en octobre 2007 à Souleimaniyeh d'un premier centre social spécialisé dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
En tout anonymat, elles peuvent venir y raconter leur calvaire et trouvent un soutien psychologique ainsi qu'une assistance juridique.
"Même si le phénomène a de profondes racines historiques dans notre province, il prend ces derniers mois des proportions alarmantes", s'inquiète Layla Abdullah, présidente d'"Aram Shelter", organisation indépendante qui lutte pour les droits des femmes au Kurdistan.
"En 2004, 48 femmes victimes de violences domestiques sont venues trouver refuge auprès de mon association pour échapper à la mort", explique Mme Abdullah. "Ce nombre a atteint 71 en 2007, et il est déjà de 25 pour les quatre premiers mois de 2008."
En 2002, le gouvernement kurde a aboli une loi réduisant les peines des coupables de "crimes d'honneur". Ce qui n'est pas suffisant pour endiguer ces violences, estiment les défenseurs de la cause des femmes kurdes.
"Les traditions sociales ne pardonnent pas les péchés des femmes", regrette Mme Abdullah. Une femme qui a eu une aventure ou dont le comportement a déplu à ses proches risque la mort.
En novembre 2007, le ministre kurde des Droits de l'homme, Aziz Mohammed, a reconnu que ce genre de violences se poursuivait dans le nord de l'Irak.
"Violences domestiques, abus sexuels, menaces de morts, insultes, mariages forcés, kidnapping, abandon de la scolarité sous la menace... ce sont les violences auxquelles sont confrontées les femmes du Kurdistan", notait un rapport du ministère. La plupart des victimes ont entre 13 et 18 ans, selon ce document.
Paradoxalement, les femmes participent à la vie politique locale, avec trois femmes sur les 42 ministres du gouvernement, et 28 députés sur 111 au Parlement régional.
"Les tentatives de suicide de femmes en détresse sont en augmentation", observe Bakhshan Zangana, qui dirige le comité des femmes au sein du Parlement.
"Nous devons en discuter et trouver une solution à cette situation. Le suicide est bien évidemment l'une des conséquences des violences domestiques et de leur cruauté.".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.