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Des Kurdes bâtissent un "village de la paix" dans le sud-est de la Turquie


Jeudi 31 mars 2011 à 06h16

VIRANSEHIR (Turquie), 31 mars 2011 (AFP) — Dans le sud-est de la Turquie, une cinquantaine de familles kurdes prennent leur destin en main: elles bâtissent leur village et s'organisent en coopérative agricole, tournant le dos à des années de conflit destructeur entre rebelles et troupes régulières.

Sur le chantier d'une maison en construction, un gamin gratte le sol avec une pioche plus grande que lui. Un autre transporte à grand peine un baquet d'eau.

Chaque génération prête main forte, pour bâtir un nouveau village près de Viransehir, à une cinquantaine de kilomètres de Sanliurfa, en Anatolie (sud-est).

Avec le sentiment qu'il ne s'agit pas seulement de construire des habitations, mais qu'il est aussi question de "paix", dans une région marquée par une "sale guerre" qui a fait environ 45.000 morts, depuis 1984 sur l'ensemble de la Turquie.

Début mars, 48 familles, qui vivent entassées dans des logements de location, ont lancé les premiers chantiers de leurs nouveaux logis, faits de briques et de pierres volcaniques.

"Dans chaque famille, il y a au moins un mort... Nous avons beaucoup souffert, et maintenant, nous voulons vivre. Ces maisons, c'est l'espoir que nous avons d'une nouvelle vie", explique un habitant de Viransehir.

Le Congrès pour une société démocratique (DTK), une association qui rassemble plusieurs groupes kurdes de la région, et un militant local, Metin Yegin, ont lancé ce projet, qui est de "créer une commune dotée de ses propres moyens économiques".

"La paix n'est pas quelque chose de facile. Que feront les rebelles (une fois la paix retrouvée)? Et pas seulement eux, mais que feront les Gardiens de villages et leurs familles ?" s'interroge M. Yegin.

Les Gardiens de villages sont des Kurdes employés par l'armée pour combattre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Des traîtres, pour la rébellion, qui lutte pour l'autonomie de la région.

Le village de "Ax u Av" (La Terre et l'Eau, en kurde) sera organisé en coopérative agricole, sa principale activité.

M. Yegin veut s'inspirer des solutions qui ont été apportées aux guerres civiles en Amérique centrale, où il a séjourné.

Certains de ces pays "connaissent la paix depuis plus de dix ans, et il y a maintenant chez eux plus de morts dans des affaires de droit commun que du fait de la guerilla", explique-t-il.

"Qu'est-ce qui se passera une fois la paix revenue ? La solution commence là", affirme Hamza Buyuktas, du DTK, en montrant le chantier.

En janvier, le DTK a rendu public un projet appelé "autonomie démocratique", sa proposition pour une solution au problème kurde.

Dans un texte qui n'est pas sans rappeler la rhétorique marxiste du PKK, il prévoit une organisation en "communes et en assemblées locales, pour développer l'autogestion", notamment économique.

Le projet a été condamné à la fois par le gouvernement et l'armée, comme une atteinte à l'unité nationale.

Le gouvernement islamo-conservateur a lancé l'an dernier sa propre initiative pour faire cesser la rébellion kurde, proposant de nouveaux droits pour les 12 à 15 millions de Kurdes de Turquie. Mais la tentative a fait long feu.

Outre celui de Viransehir, d'autres villages ont été lancés à Lice, Derik, Suruç et Nusaybin, tous dans le sud-est.

"Tout le monde est associé aux décisions, y compris les enfants de plus de six ans. Ils ont leurs propres réunions", explique M. Yegin.

"Nous avons décidé de construire un parc, des terrains de basket, de volley et de tennis", explique Seyhmus Aydogan, 14 ans, un des trois "coordinateurs" des quelque 100 enfants concernés.

"Ce projet est un message à notre communauté, plus qu'à l'Etat. Ces gens ont pris l'initiative de décider de leur propre vie et de résoudre leurs problèmes", ajoute M. Buyuktas.

La municipalité de Viransehir a fourni les terrains pour le village, qui seront remboursés sous forme de troc, lorsque la production agricole de la coopérative aura commencé.

Car les familles ne disposent en moyenne que de 800 livres turques (environ 400 euros) par mois, la plupart des actifs étant des travailleurs saisonniers.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.