Jeudi 21 mars 2013 à 17h40
DIYARBAKIR (Turquie), 21 mars 2013 (AFP) — Qu'ils croient ou non aux chances de la paix après vingt-neuf ans de conflit, les centaines de milliers de Kurdes réunis à Diyarbakir, leur "capitale" du sud-est de la Turquie, étaient d'accord sur un point : ce jeudi est à graver dans la mémoire de leur peuple.
En ce jour de Newroz, le Nouvel an kurde, le chef emprisonné de la rébellion du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan, a demandé à ses troupes de déposer les armes, un appel abondamment acclamé par la foule, venue des quatre coins du pays.
"C'est un jour historique pour les Kurdes, pour la Turquie et pour le monde. Notre chef aujourd'hui a pu parler. Et quand Öcalan dit quelque chose, on est 100% derrière", déclare Nusrettin Pudak, un retraité de Diyarbakir.
Pourtant, quand on lui demande s'il espère la paix, le vieil homme à la tenue martiale --pantalon bouffant et veste kaki-- ne cache pas ses doutes. "Je ne suis pas optimiste. La paix, j'y croirai peut-être quand un Kurde sera traité de la même façon qu'un Turc dans un tribunal", commente-t-il.
A l'écart des festivités, Necati Alpay profite du soleil qui inonde Diyarbakir, assis dans un pré avec une poignée d'amis. Ce pharmacien veut bien admettre qu'une "ère nouvelle" est peut-être en train de s'ouvrir. Mais il reste perplexe.
"On attendait plus de ce message", lâche-t-il, "on ne s'est pas battus depuis près de trente ans, tant de nos camarades ne sont pas morts pour si peu".
Lui et ses amis énumèrent les attentes déçues: pas de revendication d'autonomie, pas d'appel à libérer les milliers de militants kurdes emprisonnés pour appartenance au PKK. "Je ne comprend pas pourquoi il appelle (les rebelles) à quitter le territoire", s'exaspère Firat Güleken, étudiant en droit.
Un début
A quelques mètres de là, Sinem, c'est le prénom d'emprunt qu'elle s'est choisie, savoure ces instants. "Le peuple a de grandes attentes, de grands espoirs après ce message", s'enthousiasme la jeune femme, sortie quelques semaines plus tôt de prison, où elle a passé quatre ans pour appartenance au PKK.
Pour elle, l'absence de revendications fortes dans la missive d'Öcalan est compréhensible. "Il faut faire les choses pas à pas, on n'est qu'au début d'un processus. Il ne faut pas révéler d'un coup l'ensemble de notre feuille de route", explique la militante. "Le retrait de troupes, c'est un grand pas, maintenant on attend beaucoup du gouvernement", ajoute-t-elle.
Son ami Veysel Baltas, un jeune ingénieur en mécanique venu de Batman, près de Diyarbakir, est franchement optimiste. "D'ici cinq ans, en allant pas à pas, on aura la paix", assure-t-il. "Il faut d'abord habituer l'opinion publique, puis obtenir l'éducation en langue kurde, puis la reconnaissance officielle de l'identité kurde, et enfin l'autonomie".
Comme Sinem, Veysel estime que la balle est maintenant dans le camp du gouvernement. Mais souhaite-t-il vraiment la paix ?
De nombreuses personnes interrogées sur l'immense esplanade des célébrations du Newroz, pavoisée aux couleurs kurdes rouge, jaune et vert, répondent dans un beau chorus: "nous avons confiance en Öcalan, pas dans le gouvernement".
Nahil Temirogullari, venu d'Erzurum (nord-est), est lui aussi sceptique. "Le Premier ministre continue de clamer 'un peuple, un drapeau, un pays', mais on n'est pas un même peuple et on n'a pas un même drapeau", raille Nahil, 30 ans, sans emploi.
Mais pour lui, que les pourparlers débouchent sur la paix ou pas, le mouvement kurde a déjà remporté ce jeudi une grande victoire. "C'est un grand succès aujourd'hui: ils (les autorités) ont commencé à parler avec Öcalan. C'est ce qu'il fallait faire depuis le début".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.