Jeudi 19 octobre 2006 à 12h29
BAGDAD, 19 oct 2006 (AFP) — "Vous êtes ici pour mourir": Abdallah Saed, vieux villageois kurde au visage émacié, a raconté avoir été accueilli par ces mots, il y a près de 20 ans, par Hajaj, directeur redouté du camp de la mort irakien de Nougrat Salam, jeudi au procès pour génocide de Saddam Hussein.
La tête recouverte de la traditionnelle coiffe du Kurdistan, le témoin a apporté de nouvelles précisions sur cette prison du désert du sud de l'Irak, et sur son directeur. Ils hantent toujours les témoins qui se succèdent à Bagdad devant le Haut tribunal pénal.
Saddam Hussein et six co-accusés sont jugés depuis le 21 août pour avoir mis en oeuvre les campagnes militaires d'Anfal, en 1987-1988 dans le Kurdistan irakien, qui ont fait 180.000 morts, selon l'accusation. Tous risquent la peine de mort.
"Trois jours après notre arrivée à Nougrat Salam, l'eau a été coupée. Nous avons demandé à Hajaj de la rétablir, mais il nous a dit: nous avons coupé l'eau pour que vous mourriez. Vous êtes ici pour mourir", a déclaré le témoin.
Il a raconté sa stupéfaction en arrivant à Nougrat Salam: "la prison était archi comble, remplie de prisonniers kurdes: des enfants, des femmes âgées, des jeunes, des vieillards. A ce moment-là, j'ai pensé que tout le Kurdistan s'était déplacé dans cette prison", a-t-il dit.
En raison des épouvantables conditions de détention, du manque d'eau - qui venait par petite quantité des marais insalubres voisins, selon des témoins - et du manque de nourriture, les prisonniers mouraient.
Interrogé par le juge sur les raisons des décès, le témoin a remarqué: "comment voulez-vous qu'un vieil homme survive en mangeant la nourriture avariée de la prison et qu'une vieille femme vive avec la tête pleine de parasites".
"J'ai moi même participé à l'enterrement de vingt prisonniers", a dit Abdallah Saed, selon qui 1.800 prisonniers sont morts pendant son séjour à Nougrat Salam.
Le témoin a affirmé que son village, Gop Tappa, avait été bombardé par l'aviation irakienne, à l'arme chimique. "Je travaillais dans mon champ quand quatre avions ont bombardé deux villages", a-t-il dit.
"Nous avons alors respiré une odeur de pomme pourrie. C'était des armes chimiques et les habitants de mon village ont commencé à crier", a poursuivi M. Saed. "Nous avons embarqué derrière un tracteur les enfants, les femmes et les personnes infectées par les armes chimiques, et nous sommes rapidement partis vers un autre village", a-t-il expliqué.
Ensuite, comme pour les autres témoins qui se sont succédés au cours des dernières semaines, il y a eu l'arrestation par l'armée, le transfert à Nougrat Salam et la libération plusieurs mois plus tard pour les survivants.
Abdallah Saed a sorti une liste, portant les noms de huit membres de sa famille morts pendant ces événements. "Je demande réparation pour ces huit parents", a-t-il dit.
Mercredi, pour la première fois depuis l'ouverture du procès, des témoins avaient raconté comment l'armée avait emmené par camions des groupes de villageois terrifiés, en plein désert, pour les abattre collectivement.
Les avocats de la défense sont toujours absents du tribunal, et les accusés sont représentés par des défenseurs commis d'office.
Les avocats boycottent le procès pour protester contre la nomination en septembre de l'actuel juge à la suite, selon eux, d'une intervention du gouvernement irakien.
Seuls Saddam Hussein et Hassan al-Majid sont accusés de génocide. Tous sont poursuivis pour crime de guerre et crime contre l'humanité contre les Kurdes.
Le procès reprendra le 30 octobre.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.