Mardi 10 decembre 2024 à 05h02
Paris, 10 déc 2024 (AFP) — La Syrie post-Assad représente une opportunité pour les jihadistes du groupe Etat islamique (EI), qui pourraient tenter de profiter d'un potentiel chaos pour reconquérir des territoires et faire libérer ses combattants emprisonnés en zone kurde (nord-est).
Ils n'aiment rien tant que l'incertitude, la guerre et les Etat défaillants. Les combattants de l'EI, aujourd'hui terrés en petites cellules dans le désert de l'Est du pays, ne pourraient que sortir gagnants d'une transition heurtée, que beaucoup craignent après treize ans de guerre civile.
"Le chaos et l'anarchie constitueront inévitablement une aubaine pour l'EI, qui a attendu son heure, reconstruisant lentement mais sûrement ses réseaux dans tout le pays," avertit Colin Clarke, directeur scientifique du Soufan Center à New York, qui dénonce depuis des années la négligence occidentale en matière de lutte anti-terroriste.
Dimanche, Washington a mené "des dizaines de frappes aériennes" visant "plus de 75 cibles" de l'EI, selon le commandement militaire américain pour le Moyen-Orient. Une façon de montrer qu'elle n'ignorait pas le danger.
Dans sa revue officielle Al-Naba, l'EI refuse par avance toute forme de pouvoir à Damas autre que le sien.
Le groupe, qui régnait sur un vaste califat à cheval sur Irak et Syrie (2014-19), estime que "l'objectif des rebelles est de créer un Etat civil et démocratique, très éloigné de son projet d'Etat basé sur la charia", explique Laurence Bindner, co-fondatrice du JOS Project, plateforme d'analyse de l'extrémisme en ligne.
"Il se positionne comme la seule alternative viable, qui ferait respecter des principes religieux tout en s'opposant aux intérêts étrangers", poursuit-elle à l'AFP. Les appels des rebelles "à une coexistence pacifique avec les minorités religieuses sont à l'opposé de sa vision radicale d'excommunications systématiques".
- Le modèle afghan -
La centrale de l'EI, longtemps capable de coordonner ses filiales au Moyen-Orient et en Afrique, est aujourd'hui considérée comme l'ombre d'elle-même.
Le nombre d'attentats que le groupe a revendiqués en Syrie a décru de 2019 (1.055) à 2023 (121). Mais il a augmenté en 2024 (259 à mi-novembre), écrivait la semaine dernière l'analyste Aaron Zelin pour le think-tank américain Hudson.
"Il existe des éléments significatifs suggérant que l'EI a sous-estimé à dessein ses revendications en Syrie pour paraître plus faible qu'en réalité", ajoutait-il, notant qu'il prélevait des taxes sur les populations sous son contrôle.
Ses capacités de nuisance demeurent, tant il excelle dans l'art du harcèlement des autorités. Et ce, même si triomphe à Damas le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS), à la tête des rebelles qui ont renversé Bachar al-Assad.
"L'EI essaiera de prendre autant de territoire que possible à HTS s'il contrôle la Syrie", assure Yoram Schweitzer, ancien des services israéliens, aujourd'hui à l'Institut d'études sur la sécurité nationale (INSS) de Tel-Aviv.
Nonobstant les différences fondamentales entre les deux pays, "il faut observer ce qu'a fait l'EI-K quand les Talibans ont pris le pouvoir", insiste-t-il, en référence aux attentats perpétrés par la branche afghane du groupe après le départ des Américains de Kaboul, en août 2021.
- La menace du camp d'Al-Hol -
Et si une autre autorité s'installe finalement, le résultat sera identique. "Ils considèreront quiconque contrôle le pouvoir à Damas comme un ennemi fondamental contre lequel ils se doivent d'agir".
Parallèlement, l'EI risque de s'intéresser à l'un des talons d'Achille de la lutte anti-terroriste: les camps surpeuplés et sous-sécurisés établis en zone kurde, dans lesquels croupissent des dizaines de milliers de combattants de l'EI avec femmes et enfants.
En janvier 2022, le groupe avait porté un assaut contre la prison de Ghwayran, à Hassaké (nord-est), où sont détenus des milliers de jihadistes. Il ne peut qu'avoir en ligne de mire le gigantesque camp d'Al-Hol, "soit en l'attaquant, soit en aidant ceux qui y sont enfermés à s'évader", estime Yoram Schweitzer.
Ces dernières années, les Kurdes "avaient des difficultés à y maintenir l'ordre", note l'Israélien, qui juge qu'ils ne pourront le sécuriser encore longtemps. Surtout s'ils subissent les assauts de l'armée turque, qui considèrent les forces kurdes comme des "terroristes".
A terme, une partie de l'équation réside dans la volonté ou non des Etats-Unis de conserver en Syrie le petit millier de soldats américains déployés pour combattre l'EI et d'interdire à Ankara de frapper les Kurdes de Syrie.
Et si le président élu Donald Trump reste imprévisible, la lutte contre l'EI "fait partie de l'héritage" de son premier mandat, rappelle Colin Clarke.
"Je ne pense pas qu'il voudra défaire cet héritage en retirant ses troupes et en donnant le feu vert aux Turcs", veut-il croire. Dans le cas contraire, "l'EI en serait le premier bénéficiaire".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.