Mardi 10 decembre 2024 à 17h37
Paris, 10 déc 2024 (AFP) — La Syrie post-Assad représente une opportunité pour les jihadistes du groupe Etat islamique (EI), qui pourraient tenter de profiter d'un potentiel chaos pour reconquérir des territoires et faire libérer ses combattants emprisonnés en zone kurde (nord-est).
Ils n'aiment rien tant que l'incertitude, la guerre et les Etats défaillants. Les combattants de l'EI, terrés en petites cellules dans le désert de l'Est du pays, sortiraient gagnants d'une transition heurtée, que beaucoup craignent après 13 ans de guerre civile.
"Le chaos et l'anarchie constitueront inévitablement une aubaine pour l'EI, qui a attendu son heure, reconstruisant lentement mais sûrement ses réseaux dans tout le pays," avertit Colin Clarke, directeur scientifique du Soufan Center à New York.
Dimanche, Washington a mené "des dizaines de frappes aériennes" sur "plus de 75 cibles" jihadistes. "L'EI tentera de profiter de cette période pour rétablir ses capacités et créer des sanctuaires. (...) Nous sommes déterminés à empêcher cela", a affirmé lundi le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken.
Mardi, l'EI a arrêté et exécuté dans le désert 54 soldats syriens en fuite, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Dans le même temps, la justice française et le renseignement britannique indiquaient séparément "surveiller de très près" le risque d'un retour en Europe de jihadistes étrangers pour y commettre des attentats.
Dans le dernier numéro de sa revue officielle Al-Naba, l'EI refuse par avance toute forme de pouvoir à Damas autre que le sien.
Le groupe, qui régnait sur un vaste califat à cheval sur Irak et Syrie (2014-19), estime que "l'objectif des rebelles est de créer un Etat civil et démocratique, très éloigné de son projet d'Etat basé sur la charia", déclare à l'AFP Laurence Bindner, co-fondatrice du JOS Project, plateforme d'analyse de l'extrémisme en ligne.
"Il se positionne comme la seule alternative viable", poursuit-elle. Les appels des rebelles "à une coexistence pacifique avec les minorités religieuses sont à l'opposé de sa vision radicale d'excommunications systématiques".
- Le modèle afghan -
La centrale de l'EI, longtemps capable de coordonner ses filiales au Moyen-Orient et en Afrique, est aujourd'hui l'ombre d'elle-même.
En Syrie, le nombre d'attentats revendiqués par le groupe a décru chaque année depuis 2019 avant d'augmenter cette année (259 attentats à mi-novembre), écrivait la semaine dernière l'analyste Aaron Zelin pour le think-tank américain Hudson.
Mais des éléments sérieux "suggèrent que l'EI les a sous-estimés à dessein pour paraître plus faible qu'en réalité", ajoutait-il, notant qu'il prélève des taxes auprès des populations sous son contrôle.
Les jihadistes ne feront aucun cadeau au groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS), à la tête des rebelles qui ont renversé Bachar al-Assad, s'il conserve le pouvoir à Damas.
"L'EI essaiera de prendre autant de territoire que possible à HTS s'il contrôle la Syrie", assure Yoram Schweitzer, ancien des services israéliens, aujourd'hui à l'Institut d'études sur la sécurité nationale (INSS) de Tel-Aviv.
Nonobstant les différences fondamentales entre les deux pays, "il faut observer ce qu'a fait l'EI-K quand les Talibans ont pris le pouvoir", insiste-t-il, en référence aux attentats perpétrés par la branche afghane du groupe après le départ des Américains de Kaboul, en août 2021.
- La menace d'Al-Hol -
Et pour toute autre autorité que HTS, le résultat sera identique. "Ils considèreront quiconque contrôle le pouvoir à Damas comme un ennemi fondamental contre lequel ils se doivent d'agir".
Parallèlement, l'EI devrait s'intéresser à l'un des talons d'Achille de la lutte anti-terroriste: les camps surpeuplés et sous-sécurisés établis en zone kurde, dans lesquels croupissent des dizaines de milliers de combattants de l'EI avec femmes et enfants.
En janvier 2022, le groupe avait porté un assaut contre une prison à Hassaké (nord-est) détenant des milliers de jihadistes. Il ne peut qu'avoir en ligne de mire le gigantesque camp d'Al-Hol, "soit en l'attaquant, soit en aidant ceux qui y sont enfermés à s'évader", estime Yoram Schweitzer.
Ces dernières années, les Kurdes "avaient des difficultés à y maintenir l'ordre", note l'analyste israélien, qui juge qu'ils ne pourront le sécuriser encore longtemps. Surtout s'ils subissent les assauts de l'armée turque, qui considèrent les forces kurdes comme des "terroristes".
A terme, une partie de l'équation réside dans la volonté ou non des Etats-Unis de conserver en Syrie le petit millier de soldats déployés pour combattre l'EI, et d'interdire à Ankara de frapper les Kurdes de Syrie.
Et si le président élu Donald Trump reste imprévisible, la lutte contre l'EI "fait partie de l'héritage" de son premier mandat, rappelle Colin Clarke.
"Je ne pense pas qu'il voudra défaire cet héritage en retirant ses troupes et en donnant le feu vert aux Turcs", veut-il croire. Dans le cas contraire, "l'EI en serait le premier bénéficiaire".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.