Samedi 5 juin 2021 à 15h59
Erbil (Irak), 5 juin 2021 (AFP) — Trois civils ont été tués samedi dans le bombardement d'un drone turc sur un camp de réfugiés kurdes dans le nord de l'Irak, que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avait récemment menacé de "nettoyer".
Ankara accuse l'Irak d'inaction et assure n'avoir d'autre choix que de mener elle-même sa guerre -- sur le sol irakien -- contre le Parti des travailleurs kurdes (PKK), groupe rebelle de Turquie qu'elle qualifie de "terroriste", comme ses alliés occidentaux.
Quelques heures avant ce bombardement, une embuscade du PKK avait fait cinq morts dans les rangs des peshmergas, les combattants du Kurdistan irakien, grand allié d'Ankara, dans la province kurde de Dohouk, frontalière de la Turquie.
L'attaque au drone a eu lieu plus au sud, dans la province de Ninive, frontalière du Kurdistan, dans un camp de réfugiés établi à la fin des années 1990 par l'ONU pour accueillir des Kurdes de Turquie.
- "Continuité" -
Un drone turc a visé "un jardin d'enfants près d'une école", selon Rachad Galali, député kurde originaire de Makhmour.
"Trois civils ont été tués et deux blessés", a-t-il affirmé à l'AFP, précisant qu'aucun enfant n'avait péri.
Ankara accuse régulièrement le PKK de faire la loi dans le camp de Makhmour, à 250 km au sud de la frontière turque.
En début de semaine, M. Erdogan l'avait comparé aux monts Qandil --situés plus à l'est au Kurdistan irakien, à la frontière avec l'Iran--, la plus grande base du PKK, qui livre depuis 1984 une sanglante guérilla sur le sol turc ayant fait plus de 40.000 morts.
"Pour nous, la question de Makhmour est aussi importante que Qandil. Pourquoi? Parce que Makhmour est presque devenu l'incubateur de Qandil (...). Si nous n'intervenons pas, cet incubateur va continuer de produire (des terroristes)", avait lancé le président turc.
"Si les Nations unies ne nettoient pas cet endroit, alors nous nous en chargerons", avait-il encore menacé, alors que son pays mène depuis le 23 avril une nouvelle campagne militaire, aérienne et parfois terrestre, contre le PKK en Irak.
Malgré les bruits de bottes et les déclarations martiales des uns et des autres, "on n'est pas dans l'extraordinaire, tout cela s'inscrit dans la continuité", décrypte pour l'AFP Adel Bakawan, de l'Institut de recherches et d'études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO).
"Il n'y aura pas une invasion ou une offensive massive turque sur le Kurdistan irakien", poursuit ce spécialiste de l'Irak.
- "Révolution" militaire -
Notamment parce que l'utilisation de drones par Ankara est pour les experts une "révolution" militaire car ils permettent de localiser, d'identifier et d'éliminer des cibles en quelques minutes.
Après les tirs d'artillerie à partir de son sol depuis 2018, la Turquie préfère désormais les drones, plus précis pour viser un ennemi qui se déplace à pied ou à bord de pick-ups dans des zones très accidentées, et aussi moins chers car de fabrication locale.
Bagdad, qui a déjà perdu deux haut-gradés dans des tirs de drones turcs et qui dirige officiellement les peshmergas, dénonce régulièrement des violations de sa souveraineté alors que la Turquie a de facto installé une dizaine de bases militaires depuis 25 ans au Kurdistan irakien.
Les autorités irakiennes ont à plusieurs reprises convoqué l'ambassadeur turc mais n'ont jamais pris de mesure plus radicale contre Ankara, un de leurs premiers partenaires commerciaux.
De son côté, Erbil, capitale du Kurdistan irakien, n'a pas commenté le bombardement de Makhmour mais vivement dénoncé l'attaque contre ses peshmergas.
Le PKK, qui milite pour un Kurdistan unifié à cheval sur la Syrie, la Turquie, l'Irak et l'Iran, est autant l'ennemi d'Ankara que d'Erbil.
De nouveau samedi matin, cette guerre fratricide entre Kurdes a fait des victimes: cinq peshmergas kurdes irakiens ont été tués et deux blessés dans une embuscade du PKK au mont Metin, selon Serbast Lazkin, vice-ministre des Peshmergas du gouvernement de la région, autonome depuis 1991.
Le PKK a justifié son attaque en expliquant que ces peshmergas étaient "entrés dans une zone de conflit" entre le PKK et l'armée turque "qui veut occuper le Kurdistan" irakien.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.