Dimanche 7 mai 2023 à 05h03
Ankara, 7 mai 2023 (AFP) — Ils sont une centaine ce jour-là, tous avocats, déterminés à rendre les élections turques du 14 mai les plus transparentes possible.
"Il n'y a pas d'autres moyens de protéger nos votes que de prendre soin des urnes", résume l'avocate Ilke Yakupoglu.
Réunis dans une salle d'Ankara, les juristes suivent une formation organisée par la plateforme d'avocats "Hukukçular buradayiz" ("Les juristes sont là", en turc) afin de prévenir les fraudes le jour du scrutin.
Sur leurs strapontins rouges, beaucoup s'inquiètent des propos tenus la veille par le ministre turc de l'Intérieur, Süleyman Soylu, qui a comparé les élections présidentielle et législatives à venir à "une tentative de coup d'Etat politique" contre Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans.
"Le fait que le gouvernement soit pour la première fois si proche de perdre nous fait tous redouter de possibles problèmes", explique Ilke Yakupoglu.
"Ces élections sont critiques. Les déclarations du gouvernement montrent qu'elles ne seront ni équitables ni justes", redoute aussi Nuray Özdogan, responsable pour Ankara d'une association d'avocats et membre du Parti démocratique des peuples (HDP, gauche prokurde).
La semaine dernière, une centaine de personnes, dont 50 avocats désignés pour surveiller le double scrutin du 14 mai par l'alliance électorale dominée par le HDP, ont été arrêtées à Diyarbakir, la grande ville à majorité kurde du sud-est, suscitant l'inquiétude dans les rangs du parti.
- "Pas confiance" -
Le président du Haut comité électoral turc (YSK), Ahmet Yener, a affirmé fin avril que la sécurité du vote serait garantie, y compris dans les provinces affectées par le séisme du 6 février qui a fait plus de 50.000 morts et anéanti des villes entières.
Mais le candidat de l'alliance de l'opposition, Kemal Kiliçdaroglu, chef du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et principal adversaire de M. Erdogan, dit "ne pas faire confiance" au YSK.
En 2019, le Haut comité a invalidé la victoire du candidat du CHP à la mairie d'Istanbul après un recours de l'AKP, le parti au pouvoir. Finalement, Ekrem Imamoglu a été réélu bien plus largement à la faveur d'un nouveau scrutin.
Marquée par cet épisode, l'opposition a "doublé son nombre d'avocats par rapport à [la présidentielle de] 2018" et dépêchera 300.000 scrutateurs, pour beaucoup bénévoles, dans les 50.000 bureaux de vote du pays, affirme le vice-président du CHP chargé de la sécurité des élections, Oguz Kaan Salici.
"Nous protégerons les 192.000 urnes", a-t-il assuré devant la presse étrangère, dont l'AFP.
L'ONG Oy ve Ötesi, qui forme elle aussi des observateurs, vise "100.000 bénévoles sur le terrain" le 14 mai, contre 60.000 au maximum lors des précédents scrutins, selon son président Ertim Orkun.
- "Cartes d'identité" -
Plusieurs organisations, dont Oy ve Ötesi, ont aussi créé un site internet pour aider les déplacés du séisme à aller voter dans leur provinces d'origine. Des partis de l'opposition, dont le CHP et le HDP (gauche prokurde), affréteront des bus.
Les conditions du vote dans la dizaine de provinces affectées par le tremblement de terre du 6 février inquiètent nombre d'observateurs.
"Nous ne savons pas vraiment ce qu'il est advenu des cartes d'identité [des morts et des disparus]. C'est quelque chose que nous allons regarder de très près", a affirmé fin avril à l'AFP le député allemand Frank Schwabe, chef des observateurs du Conseil de l'Europe, qui dépêchera une quarantaine de personnes.
Quelque 350 experts de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) seront aussi mobilisés.
"Beaucoup de gens veulent aller voter dans leur ville d'origine pour surveiller d'éventuelles irrégularités (...) Nous sommes inquiets que d'autres puissent voter à la place de nos morts", confie Özgur Yusuf Kavukçu, qui a dû quitter Antakya (sud) pour la capitale à la suite du séisme.
"Il y a des gens dont on n'a pas retrouvé les corps, comme ceux qui habitaient dans mon immeuble voisin", ajoute-t-il.
A une semaine du vote, les sondages continuent de prédire un scrutin serré.
Oguz Kaan Salici croit que le résultat sera respecté: "Nous ne vivons pas dans une république bananière", fulmine le vice-président du CHP. "Le pouvoir changera de mains comme il a changé de mains en 2002 [quand l'AKP est arrivé au pouvoir]. Personne n'empêchera cela".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.