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Turquie: la jeunesse d'Istanbul mobilisée malgré la peur


Mardi 25 mars 2025 à 18h54

Istanbul, 25 mars 2025 (AFP) — Le masque noir remonté sous les yeux, pull jaune citron aux couleurs de son université, Nisa est venue "défendre la démocratie" en Turquie qu'elle juge "en danger".

Elle a bravé son appréhension pour se joindre mardi soir au défilé de milliers d'étudiants dans le parc de Maçka, à Istanbul, au septième jour de contestation à travers la Turquie.

Un choix symbolique que ce grand espace vert en pente, officiellement dénommé "parc de la démocratie de Maçka".

Pour toute cette génération de vingtenaires, née sous le pouvoir AKP de Recep Tayyip Erdogan, cette mobilisation est une première.

Leurs parents ont connu la vague de protestation de Gezi en 2013, partie d'Istanbul et qui s'était répandue dans le pays pendant plusieurs semaines, demeurant pour eux une référence, brandie dans les rassemblements, et pour le chef de l'Etat, une hantise.

Le mouvement s'est enclenché suite à l'arrestation le 19 mars du maire d'opposition d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, incarcéré dimanche pour corruption.

Depuis, chaque soir, des dizaines de milliers de manifestants que les autorités qualifient de "provocateurs" convergent vers la municipalité.

Plus de 1.400 personnes ont été arrêtées dans le pays -- où les rassemblements ont été interdits à Ankara, Istanbul et Izmir --, parmi lesquelles une dizaine de journalistes qui couvraient les manifestions, dont un de l'AFP.

- "Cachez vos visages" -

Tous les jeunes présents l'affirment: la mobilisation va bien au-delà du cas d'Ekrem Imamoglu.

"La République est en danger depuis l'arrivée d'Erdogan au pouvoir il y a plus de vingt ans", dénonce Nisa.

"On ne peut pas s'exprimer librement", poursuit la jeune fille qui, comme pratiquement tous ses camarades, refuse de donner son nom complet.

"Bien sûr que j'ai peur de la police", confirme un jeune homme de vingt ans, visage caché sous le masque noir et blanc du film "V pour Vendetta" et qui se fait appeler Ahmet.

Écharpes tricotées main, foulards, chemises... n'importe quel textile fait l'affaire pour cacher leurs traits aux policiers déployés autour du parc.

Les milliers d'étudiants se sont élancés en fin de journée en direction de la mairie de Sisli, arrondissement dont le maire a lui aussi été incarcéré dimanche.

Dans le très long cortège, surveillé de près par la police et applaudi par de nombreux riverains, des pancartes "Acab" (All Cops are Bastards, "tous les flics sont des salauds"), des appels à la démission du gouvernement et presque que des visages masqués.

Lors d'une AG mardi après-midi à l'université de Galatasaray, des organisateurs de la manifestation avaient donné des consignes: "ne montrez pas vos visages, ne publiez pas de photos à visages découverts".

- "Responsabilité historique" -

Dans la cour d'un campus de l'université technique d'Istanbul, mardi matin, Adanil Güzel, 19 ans, boucles noires et multiples anneaux aux oreilles, revendiquait en revanche fièrement son nom.

"Je n'appartiens à aucun parti mais j'ai toujours été dans la rue, comme fille, comme queer et comme Kurde. Je veux me battre parce que mes droits n'ont jamais été garantis", martelait-elle.

Depuis Gezi, les derniers à descendre dans les rues sont les femmes pour le 8 mars et les LGBTQI+ pour la Marche des fiertés.

"Les organisations de jeunesse ont toujours compté dans notre histoire depuis l'avènement de la République. C'est notre responsabilité historique en tant que jeunes de descendre dans la rue", juge pourtant Kerem Gümre, 23 ans, qui avoue avoir abandonné ses études de droit, "auxquelles il ne croyait plus, pour faire de l'économie".

Dans le long cortège étudiant mardi soir, des pancartes et des slogans raillaient le président Erdogan, l'accusant d'avoir falsifié son diplôme universitaire.

L'université d'Istanbul a annulé le diplôme de M. Imamoglu la semaine dernière, à la veille de son arrestation, mettant un obstacle supplémentaire à sa candidature à la présidence.

Dimanche, jour de son incarcération, le maire d'Istanbul a toutefois été investi par son parti comme le candidat du CHP à la prochaine échéance présidentielle, prévue en 2028.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.