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Turquie: vive attente et grand flou avant le message d'Öcalan


Mercredi 5 février 2025 à 14h59

Istanbul, 5 fév 2025 (AFP) — Une déclaration imminente du chef kurde Abdullah Öcalan, fondateur et figure tutélaire du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), incarcéré depuis 26 ans, tient en haleine la Turquie et les chancelleries. Sans qu'il soit possible d'en mesurer par avance la portée.

À 75 ans, "Apo" (oncle, en kurde), comme le surnomment avec respect et affection ses partisans, pourrait saisir la date anniversaire de son arrestation, le 15 février, pour se prononcer sur une offre faite par Ankara: un appel au PKK à déposer les armes contre sa libération.

Öcalan s'est dit "déterminé" à s'impliquer dans un processus qui permettrait de tourner la page d'un conflit qui a fait au moins 40.000 morts depuis 1984 mais, outre la date du 15 février, jugée selon certains observateurs trop symbolique par les autorités, les termes de l'échange restent flous.

"Qu'a proposé (le président turc Recep Tayyip) Erdogan? On ne sait rien. Est-il prêt à des concessions?", s'interroge Hamit Bozarslan, historien spécialiste des Kurdes à l'EHESS à Paris.

"Qu'Öcalan appelle à déposer les armes ne signifie pas une capitulation, ni un renoncement à défendre la légitimité de la cause kurde", maintient-il.

"M. Öcalan prépare la formule d'une solution honorable à la question kurde", a assuré mercredi Tuncer Bakirhan, co-président du DEM, principal parti prokurde de Turquie.

"Nous ne connaissons pas son contenu exact, mais nous savons qu'il inclura un message concernant une réponse démocratique à la question kurde", a-t-il affirmé depuis Diyarbakir, la principale ville du sud-est à majorité kurde.

- Une guerre exportée -

Autre inconnue: la portée de son appel dans les montagnes du nord de l'Irak, où sont retranchées des unités combattantes du PKK, et dans le nord-est de la Syrie, où des factions soutenues par Ankara affrontent des groupes armés kurdes.

La Turquie accuse les Unités de protection du peuple kurde (YPG) de Syrie, épine dorsale des Forces de défense démocratiques (FDS) soutenues par les Américains au nom de la lutte contre les jihadistes de l'Etat islamique, d'être une extension du PKK.

Les FDS ont instauré dans le nord-est syrien, à proximité de la frontière turque, une entité autonome qui fera forcément partie de l'équation.

La Turquie compte à cet égard sur les nouvelles autorités à Damas pour faire le ménage.

"L'opinion de M. al-Chareh sur le sort du PKK/YPG est parfaitement claire (et) satisfera les besoins de sécurité de la Turquie", a estimé mercredi le ministre turc des Affaires étrangères Hakan Fidan, au lendemain de la visite à Ankara du président syrien par intérim.

- Inconnue américaine -

Selon M. Fidan, "aucune idée de fédération ou d'autonomie ne sera acceptable" pour Damas. Mais les acteurs régionaux savent aussi que beaucoup dépendra de l'attitude de l'administration Trump face aux FDS.

"C'est la clé du problème, le coeur battant", juge M. Bozarslan.

"Il ne peut y avoir d'accord entre Damas et le nord-est (de la Syrie, NDLR) sans concessions énormes de la part du nord-est, sans garanties de sécurité sérieuses et suffisantes apportées aux Turcs", avertit un chercheur européen joint sur place, qui a requis l'anonymat.

"Le PKK peut faire mine d'accepter la consigne d'Öcalan tout en conservant des armes... Mais il faut aussi compter avec le culte du chef", avance-t-il.

Malgré les années de détention et un virage "progressiste", "Öcalan reste un guide, la référence omniprésente" du mouvement kurde, souligne Boris James, historien français spécialiste des Kurdes.

Ses portraits sont brandis à chaque manifestation de Kurdes ou lors de Norouz, le Nouvel an kurde célébré en mars.

"Si Öcalan ne dirige pas les troupes, ça ne signifie pas qu'il est hors-jeu. Le mouvement a besoin de cette figure pour rester unifié", poursuit M. James.

Un compromis est-il possible avec le gouvernement turc sans garanties données à la branche politique du mouvement kurde qu'incarne notamment le parti DEM (ex-HDP), troisième force au parlement turc?

Ce sont des députés du DEM qui ont été dépêchés cet hiver auprès de M. Öcalan dans sa prison sur l'île d'Imrali, en mer de Marmara.

Mais deux ex-dirigeants du parti sont en prison, dont le toujours très populaire Selahattin Demirtas, arrêté en 2016 et condamné en mai dernier à 42 ans de prison.

Et huit maires DEM élus en mars dernier ont été destitués et remplacés par des administrateurs nommés par le pouvoir.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.