Vendredi 15 decembre 2023 à 19h34
New York, 15 déc 2023 (AFP) — Près de 430 Américains d'origine yazidie, minorité ethnoreligieuse kurdophone vivant en Irak et en Syrie, ont déposé plainte au civil aux Etats-Unis contre le cimentier français Lafarge, accusé d'avoir financé le groupe jihadiste Etat islamique en Syrie.
Selon la plainte de plus de 300 pages déposée jeudi auprès d'un tribunal fédéral de New York, la prix Nobel de la paix yazidie Nadia Murad (2018) fait partie des 427 plaignants qui demandent la tenue d'un procès contre l'entreprise française devenue en 2015 une filiale du groupe suisse Holcim.
Selon eux, parce que Lafarge a "aidé et encouragé les actes de terrorisme international de l'EI et conspiré avec l'EI et ses intermédiaires, il doit verser un dédommagement aux survivants".
Ils réclament que la responsabilité de Lafarge soit reconnue en vertu de la législation antiterroriste américaine, ainsi que l'octroi d'indemnités dont le montant n'est pas précisé.
Un porte-parole de Lafarge a indiqué à l'AFP qu'il s'agissait d'un "dossier du passé, que Lafarge SA (entité française, NDLR) gère de manière responsable".
Cette "affaire est lancée au nom de membres de la communauté yazidie qui sont des citoyens américains et qui ont été blessés dans des attaques terroristes menées par (le groupe) Etat islamique en Irak et en Syrie", précise la plainte, affirmant qu'ils ont "été affectés dans leur être, leurs biens et/ou leurs entreprises en raison de la conduite" de Lafarge.
"Ces plaignants (...) et leurs familles sont tous des survivants du génocide systématique mené contre la population yazidie qui a commencé dans le Sinjar, en Irak, en 2014", a souligné le cabinet Jenner and Block, dans un communiqué.
L'avocat Lee Wolosky, un ancien diplomate et ancien conseiller spécial du président Joe Biden à la Maison Blanche-- appartient à ce cabinet et représente, avec notamment l'avocate libano-britannique Amal Clooney, les plaignants dans ces poursuites civiles auprès du tribunal fédéral de Brooklyn.
- Plaider-coupable pénal -
Nadia Murad, une ancienne esclave sexuelle de l'EI, milite avec Amal Clooney auprès des instances internationales pour que les crimes du groupe jihadiste soient jugés.
Poursuivi au pénal par le gouvernement américain, Lafarge a plaidé coupable le 18 octobre 2022 et payé 778 millions de dollars pour avoir collaboré en 2013 et en 2014 avec l'EI en Syrie.
Il a notamment admis avoir effectué des paiements de près de six millions de dollars à l'EI et au Front al-Nousra entre août 2013 et octobre 2014 afin de maintenir l'activité de sa cimenterie à Jalabiya (Syrie), mise en service en 2010.
La plainte civile affirme que le montant réel est supérieur, "plus proche de 15,5 millions de dollars".
Ces arrangements avec les jihadistes auraient permis à Lafarge de dégager 70 millions de dollars de chiffre d'affaires.
Les plaignants yazidis font longuement référence à cet accord avec la justice pénale américaine pour étayer leurs demandes.
Mais, souligne le cabinet Jenner and Block, "rien" de la somme récupérée par les autorités américaines en 2022 "n'a servi à dédommager les victimes".
"Bien que l'accord de plaider-coupable de l'an dernier était inédit, ce n'est pas suffisant. Lafarge doit être tenu responsable envers ceux qui ont été affectés par son comportement illégal", affirme M. Wolosky, cité dans le communiqué.
En août 2014, l'EI a déferlé sur les monts Sinjar (nord-ouest de l'Irak), multipliant les exactions contre leurs habitants, les Yazidis. Les jihadistes ont réduit les femmes à l'esclavage sexuel, enrôlé de force des enfants pour en faire des soldats et tué des hommes par centaines.
Plus de 6.400 Yazidis ont été enlevés et seuls 3.300 --surtout des femmes et des enfants-- ont été secourus ou ont pu fuir. Plusieurs dizaines de charniers ont été identifiés.
"L'argent et le ciment fournis par (Lafarge) à l'EI a été directement injecté dans les opérations de l'EI au moment précis où il commettait des actes de terrorisme international, y compris le massacre de personnes innocentes comme les Yazidis", reproche la plainte civile.
Les plaignants affirment également qu'une partie du ciment a été utilisée pour construire "un réseau de tunnels servant à abriter des combattants de l'EI et des armes, et à transporter, piéger et torturer des otages y compris des Yazidis".
Le cimentier est aussi poursuivi en France depuis 2018 pour complicité de crimes contre l'humanité, financement d'entreprise terroriste et mise en danger de la vie d'autrui.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.