Par Marc SEMO [jeudi 20 octobre 2005]
Erbil (Kurdistan d'Irak) envoyé spécial — «Comment ose-t-il citer le nom de Dieu ?», murmure, indignée, la vieille femme, en regardant Saddam Hussein commencer son adresse au tribunal spécial par une évocation du «Clément et du Miséricordieux».Pari Mustapha Barzan a installé, face au téléviseur pour qu'il participe aussi au moment historique, une grande photo de Hasan, son mari. Port altier, moustache drue et jamadani (keffieh) rouge et blanc sur la tête tel qu'il était peu avant son arrestation en juillet 1983, quand les forces de sécurité de Saddam ont raflé tous les hommes du camp de transit de Koshtapa, près d'Erbil. Elle ne l'a jamais plus revu, comme aucun des autres hommes arrêtés. Tous appartenaient à la puissante tribu des Barzani dont le chef, Mustapha Barzani, était le symbole de la lutte nationale kurde irakienne.
La famille est réunie depuis le matin dans le salon de la maison de la mère, en périphérie de la capitale kurde. La pluie du matin a fait sauter une fois de plus l'électricité dans le quartier et il a fallu mettre en route le générateur, mais pas question de rater le début de ce que les télévisions irakiennes appellent «le procès du siècle pour le dictateur du siècle». Debout dans le box des accusés, l'ex-dictateur défie le président du tribunal, Rozgar Mohammad Amin, un Kurde. «Lui au moins saura remettre à sa place Saddam, qui croit être toujours président et que les gens ont encore peur de lui», ricane l'un des fils, Aziz Hasan, professeur d'histoire. Il avait 9 ans quand son père a disparu. Il pleurait. Il l'a vu monter avec les autres dans les bus amenés pour la rafle.
Ils zappent sans cesse, passant des chaînes kurdes à celles en arabe. Tous regardent en silence, fascinés, encore incrédules. «C'est incroyable, il terrorise encore ses complices», lance la soeur, évoquant les regards déférents et apeurés des coaccusés vers le leader déchu. «Cela servira de leçon à tous les autres dictateurs arabes qui ont soutenu Saddam et utilisent les mêmes méthodes», renchérit Aziz Hasan. Ils commentent l'allure des accusés, plaisantent sur leur superbe perdue.
La cour discute du renvoi afin de laisser aux avocats de la défense le temps de mieux connaître le dossier. «C'est absurde, tous ceux qu'il a fait tuer n'avaient aucun recours et étaient liquidés sans jugement», grogne la vieille femme. Elle, comme l'écrasante majorité des habitants du pays kurde, n'imagine pas d'autre verdict que la peine capitale à l'issue de la série de procès. Pari insiste : «Il faut qu'il soit pendu et en public, pour que tout le monde le voie, pour que l'on soit bien sûr de sa mort et qu'il a payé pour ses innombrables crimes.»
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