Bachar el-Assad
Le président syrie Bachar el-Assad le 6 novembre dernier. Crédits photo : -/AFP
Isolé à l'intérieur comme à l'extérieur des frontières de son pays, le dictateur encourage le plus radical des partis kurdes, au risque de provoquer la Turquie.
Lefigaro.fr | Pierre Prier
A quoi joue Bachar el-Assad avec sa population kurde ? Tous les observateurs l'ont remarqué : dans les régions où réside la majorité du quelque 1,9 million de Kurdes syriens, principalement le nord du pays, la répression n'a rien à voir avec les massacres perpétrés ailleurs. Là, le pouvoir fait beaucoup plus appel aux gaz lacrymogènes qu'aux blindés et aux snipers, même si des morts sont tout de même à déplorer.
A quoi joue Bachar el-Assad avec sa population kurde ? Tous les observateurs l'ont remarqué : dans les régions où réside la majorité du quelque 1,9 million de Kurdes syriens, principalement le nord du pays, la répression n'a rien à voir avec les massacres perpétrés ailleurs. Là, le pouvoir fait beaucoup plus appel aux gaz lacrymogènes qu'aux blindés et aux snipers, même si des morts sont tout de même à déplorer.
Cette relative mansuétude se traduit aussi sur le plan politique, avec une subtilité digne des meilleures combinaisons de «l'Orient compliqué». Damas a laissé rentrer d'exil, en avril dernier, le leader kurde Mohammed Saleh Mouslim, leader du Parti de l'union démocratique (PYD). Cette formation est pourtant la version syrienne du PKK, interdit en Turquie et condamné par la communauté internationale pour terrorisme.
En 1998, Damas avait expulsé et «livré» aux Turcs Abdullah Öcalan, le dirigeant du PKK, qui utilisait le territoire syrien comme base arrière pour commettre des attentats en Turquie. Il faut dire que l'armée turque menaçait d'envahir la Syrie…
Aujourd'hui, le pouvoir syrien laisse la bride sur le coup au PYD, lui permettant de s'organiser dans les régions kurdes. Dans l'espoir de gagner à sa cause cette ethnie à l'histoire si particulière, Damas ravive la question kurde, qui hante toujours l'histoire et la géographie du Proche-Orient. Peuple sans État, ces quelque 30 millions de personnes, vivant à cheval entre l'Irak, l'Iran, la Syrie et la Turquie, sont les grands perdants du découpage de l'après-Première Guerre mondiale. Non arabes, ces Indo-Européens espéraient obtenir leur part du démembrement de l'Empire ottoman. Mais le Congrès de Lausanne, en 1923, les en a privés. Depuis, ils se battent dans chacun des pays hôtes pour la préservation de leur langue et de leur culture, sans renoncer au rêve d'obtenir un jour leur propre État.
Aucun des pays qui les abritent n'est prêt à s'amputer d'une partie de son territoire. La réponse des Kurdes varie, de l'agitation culturelle et politique au terrorisme. En favorisant le PYD, partisan d'une position dure, Bachar el-Assad a pris le risque de craquer une allumette qui peut embraser la région. Le message à la Turquie est clair. Bachar el-Assad cherche visiblement à punir le premier ministre Erdogan, qui a adopté une ligne dure dans la condamnation de la répression en Syrie. En réaction, l'armée turque fait de nouveau mouvement vers la frontière syrienne, comme en 1998.
À l'intérieur, toutefois, la manipulation ne semble pas prendre pour le moment, estime l'ancien diplomate Ignace Leverrier, auteur du blog «Un œil sur la Syrie» qui écrit : «Dans leur majorité, les Kurdes n'ont pas souhaité se désolidariser des leurs compatriotes arabes.» En représailles, le pouvoir a fait assassiner le 7 octobre Mechaal Tammo, chef du Courant de l'avenir kurde en Syrie, l'un des petits partis qui ont rejoint la résistance.
Le message, là aussi, était clair : le «bon» Kurde est celui qui adhère à l'opposition officielle encouragée par le régime, le Comité de coordination nationale des forces de changement démocratique. Le leader du PYD, Mohammed Saleh Mouslim, l'a rejoint dès son retour, avant d'en devenir rapidement le vice-président…
Le PYD a ses raisons : il se méfie des opposants du Conseil national syrien (CNS) qu'il juge peu réceptifs au malheur kurde. D'autant plus, fait remarquer Ignace Leverrier, que le CNS a été fondé à Istanbul, ennemi héréditaire qui détient toujours le chef charismatique du PKK Abdullah Öcalan. Derrière la coalition de l'opposition syrienne, le PYD voit la main des Frères musulmans, qui ne comptent pas parmi ses amis, et des pays occidentaux qui ont placé le PKK et ses avatars sur la liste des mouvements terroristes. Certes, le PYD déteste aussi le régime syrien, mais il semble vouloir profiter de la crise pour appliquer son propre programme : la création d'une entité autonome dans l'ensemble des régions kurdes de Syrie. Plus d'une demi-douzaine d'écoles kurdes ont été ouvertes à la rentrée 2011, avec enseignement en langue kurde, lever du drapeau et hymne national kurde, manifestations il y a peu encore passibles de prison. Mais les choses vont plus loin encore. «Depuis quelques semaines, écrit l'ancien diplomate, le PYD a commencé à organiser des élections locales destinées à mettre en place des comités de citoyens». Il a également élu en octobre un «Conseil du Kurdistan occidental» (le Kurdistan syrien). Si le régime tombe, l'embryon d'un Kurdistan autonome sera déjà en place. Cette perspective n'enchante pas forcément la majorité des Kurdes de Turquie, qui n'ont pas envie de se retrouver sous la coupe d'un parti violent aux pratiques peu démocratiques.
Cette division se manifeste déjà sur le terrain. Des heurts ont eu lieu vendredi dernier à Kamechliyé, entre manifestants kurdes des Comités de résistance locaux et ceux du PYD. Début d'un nouvel incendie en Syrie ?