Photo fournie par le bureau du Guide suprême de l’Iran, l’Ayatollah Ali Khamenei, le montrant assistant à une cérémonie de remise de diplômes aux cadets des académies des forces armées, à Téhéran, le 3 octobre 2022.
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Principale autorité du pays, le Guide suprême a pris la parole pour la première fois depuis la mort de la jeune Mahsa Amini. Il a dénoncé un mouvement organisé par les Etats-Unis et Israël.
Le Guide suprême, Ali Khamenei, est sorti du silence, lundi 3 octobre, alors que les manifestations qui secouent l’Iran sont entrées dans leur troisième semaine. « Je le dis de manière directe : ces émeutes et l’insécurité sont l’œuvre des Etats-Unis, du régime sioniste [Israël, selon le langage officiel de Téhéran], de leurs mercenaires et de certains Iraniens traîtres à l’étranger qui les ont aidés. Dans ces événements, les organisations de la police, les bassidji [miliciens fidèles au régime en habits civils] et le peuple ont subi des injustices plus que tout le monde », a déclaré la première autorité du pays.
Depuis le 16 septembre, jour de la mort de l’Iranienne Mahsa Amini pendant sa garde à vue par la police des mœurs, les manifestations touchent quotidiennement presque toutes les provinces du pays. « Le pouvoir judiciaire doit juger et condamner les auteurs de troubles selon leur participation aux sabotages », a aussi demandé Ali Khamenei lors de son discours devant les étudiants de l’Académie des forces armées à Téhéran.
Les propos du Guide suprême, prévisibles par le lien qu’ils établissent entre toute voix dissonante en Iran et les ennemis étrangers, constituent avant tout un feu vert aux forces militaires engagées dans la répression depuis le début du soulèvement. Sa prise de position survient alors que pendant cette vague de contestation, inédite par son étendue et sa longévité, au moins 92 personnes ont été tuées, selon le Centre pour les droits de l’homme en Iran, basé à New York. Les autorités iraniennes évoquent, quant à elles, une soixantaine de morts, parmi lesquels douze membres des forces militaires. Le ministère iranien des renseignements a aussi annoncé, vendredi 30 septembre, l’arrestation de neuf ressortissants étrangers en lien avec la contestation. Ils seraient originaires de France, d’Allemagne, d’Italie, des Pays-Bas et de Pologne.
Dans son discours, Ali Khamenei a minimisé une quelconque responsabilité de la police des mœurs, qui veille au bon respect des codes vestimentaires, dans le décès de Mahsa Amini. « La mort de cette jeune fille nous a attristés, mais que certains, sans enquête et sans que rien ne soit avéré, rendent les rues dangereuses, brûlent le Coran, les mosquées et les voitures et qu’ils retirent le foulard des femmes voilées, ce n’est pas une réaction normale », a-t-il déclaré.
Ali Khamenei s’est exprimé alors que dimanche 2 octobre, l’avocat de la famille de Mahsa Amini, Saleh Nikbakht, a expliqué, dans un entretien accordé au quotidien réformateur Etemaad, que la jeune fille avait « sûrement été frappée » par les policiers qui l’ont arrêtée. « Sa famille voudrait savoir quel coup ou quelle maladie a provoqué le sang qui coulait de son oreille et qui a laissé des traces sur son cou », a indiqué l’avocat. Les deux journalistes qui ont joué un rôle important dans la médiatisation de cette affaire, Niloufar Hamedi et Elaheh Mohammadi, ont toutes deux été arrêtées.
Lundi, une trentaine d’universités ont été le théâtre de rassemblements contre le régime, de Tabriz et Ouroumieh (nord-ouest) à Birjand (est), en passant par Ispahan et Téhéran (centre). « Cette grande armée est venue pour l’amour de la patrie », ont scandé les étudiants à l’université d’Ispahan, détournant un slogan des partisans de la République islamique, selon lequel « cette grande armée est venue pour l’amour du Guide ». Certaines étudiantes ont levé leur voile, une scène de plus en plus fréquente ces derniers jours dans le pays.
« Les forces de l’ordre ont encerclé l’université », explique un habitant d’Ispahan, joint par la messagerie cryptée Telegram dans l’un des rares moments où Internet a fonctionné lundi. Comme les autres Iraniens contactés, l’homme préfère rester anonyme. « Les militaires étaient deux fois plus nombreux qu’hier, quand beaucoup de jeunes ont été arrêtés », continue-t-il. Les étudiants de cette université réclamaient la libération de leurs camarades, arrêtés sur place ou ailleurs dans le pays. Ils contestaient également la répression féroce, survenue la veille, dans l’université de Sharif de Téhéran, le plus prestigieux établissement du pays pour les sciences et l’ingénierie.
« La journée de dimanche a été la plus sombre de l’histoire de notre université, explique un étudiant de Sharif. Nous nous étions rassemblés pour protester contre la convocation et l’arrestation de nos camarades survenues il y a quelques jours. A partir de 17 heures, les forces de répression en civil ont encerclé l’université, visant depuis l’extérieur les étudiants avec des Flash-Ball. A la tombée de la nuit, elles sont entrées dans l’enceinte de l’établissement, nous pourchassant avec leurs motos. Nos amis ont été touchés. Dans le parking de l’université, les étudiants se cachaient entre les voitures. Ils se faisaient tirer dessus. C’était comme dans un film d’horreur. Ceux qui réussissaient à sortir de l’université se faisaient arrêter. »
Des enseignants sont venus en aide à leurs étudiants, essayant de les faire sortir en sécurité. Certains ont été tabassés. « Beaucoup ont pleuré, moi aussi. Pas par peur, mais par colère, poursuit l’étudiant qui a passé la nuit, avec d’autres, dans un laboratoire de l’université. La haine et la colère que nous avons en nous vont jouer des tours [aux dirigeants du pays]. »
Selon un communiqué des étudiants, quelque trente personnes ont été arrêtées dans la nuit du 2 au 3 octobre ; certaines ont été libérées depuis. Beaucoup de blessés « n’ont pas osé se rendre à l’hôpital, par peur d’être interpellés », précise un autre étudiant de Sharif, joint à Téhéran. Depuis, les universités de tout le pays ont été appelées à suspendre les cours jusqu’à la libération des étudiants placés en détention, dont le nombre reste difficile à définir.
Le précédent mouvement de protestation en Iran remonte à 2019 et faisait suite à une hausse du prix de l’essence. Selon l’organisation Amnesty International, au moins 304 personnes avaient été tuées en seulement trois jours. Si, à l’époque, « les contestataires étaient principalement issus de la classe moyenne, plutôt pauvre, aujourd’hui, le soulèvement est plus large, précise un sociologue depuis Téhéran. Les gens qui protestent en ce moment sont issus d’un large éventail de couches de la société, réunies dans leur colère contre le système. Une colère née des discriminations sexistes, ethniques et économiques. Aujourd’hui, ce sont eux qui tiennent tête à leurs dirigeants, qui disposent eux de la richesse et du pouvoir. »
Dans le pays, les appels à la grève se multiplient, pour le moment suivis principalement dans les régions kurdes dont est originaire Mahsa Amini. Mais, pour la première fois, certains s’y sont joints dans la capitale, notamment les jeunes entrepreneurs et ceux travaillant dans le secteur des nouvelles technologies. Lundi, trois employés de Snapp, la version iranienne d’Uber, qui avaient annoncé publiquement leur entrée en grève ont été arrêtés. Des agents des services de renseignement ont fait irruption dans les locaux d’autres start-up et arrêté certains de leurs employés.