Photo extraite d’une vidéo montrant une manifestation d’étudiants à l’université technologique Amirkabir de Téhéran, le 10 octobre 2022. - /
AFP
Au moins quatre manifestants ont été tués durant le week-end, dont certains à balles réelles, à Sanandadj, capitale de la province du Kurdistan.
Lundi 10 octobre, pour le troisième jour consécutif, Sanandadj, la capitale de la province du Kurdistan iranien dans l’ouest de l’Iran, a été le théâtre de manifestations contre le pouvoir et d’une répression féroce, faisant de cette ville le cœur battant du soulèvement en cours. Internet y est resté coupé jusqu’à minuit, heure locale (22 h 30, heure à Paris). Avant cela, presque aucun message ni aucune image n’étaient sortis de la région, alors que, pendant le week-end des 8 et 9 octobre, la répression a tué au moins quatre personnes, certaines par balles réelles, à la différence de villes comme Téhéran où les balles en caoutchouc sont utilisées en abondance. Le nombre d’habitants arrêtés est important mais reste impossible à déterminer précisément, parmi eux des manifestants, des militants des droits humains et des journalistes.
Le soulèvement en Iran, commencé le 16 septembre à la suite de la mort d’une jeune femme kurde, Mahsa Amini, après son arrestation par la police des mœurs à Téhéran, est entré dans sa quatrième semaine. Selon le groupe Iran Human Rights, une organisation basée à Oslo, au moins 185 personnes auraient été tuées par les militaires (gardiens de la révolution) et par les policiers déployés par le régime. Selon Kurdistan Human Rights Network, l’organisation installée à Paris, dans les régions kurdes, le bilan serait de 30 victimes. Selon le journal officiel du gouvernement, Iran, au 8 octobre, 24 membres des forces de sécurité auraient été tuées dans « les émeutes ».
« Ces derniers jours, j’ai été à Sanandadj, à Marivan [une autre ville kurde] et à Téhéran. Je n’ai assisté à l’emploi d’armes à feu, comme des kalachnikovs, que dans les deux villes kurdes, et cela dès les premiers jours des manifestations, explique Soheil (un pseudonyme à la demande de l’intéressé), un manifestant vivant dans la capitale du Kurdistan iranien, joint par la messagerie cryptée Telegram. A Sanandadj, ils tiraient sur les gens de manière aveugle alors que ces derniers n’avaient pas d’armes et n’avaient que des pierres pour se défendre. »
Sorti dans la rue, samedi 8 octobre, Soheil a pu observer dès le matin une lourde présence de forces de sécurité, parfois en civil. « Elles ont très rapidement commencé à tirer sur les gens. Cela a mis le feu aux poudres. Les habitants sont devenus furieux, soutient Soheil. J’ai vu un homme, touché par balle à la tête, mourir au volant de sa voiture. Comme bien d’autres, il était en train de klaxonner, en signe de protestation. Ils tiraient à balles réelles sur nous. Comme si nous et eux, on n’appartenait pas au même pays. »
La mort de ce conducteur a été filmée par des témoins, sous plusieurs angles, et publiée sur les réseaux sociaux. L’une de ces vidéos montre la victime, un jeune homme vêtu d’un tee-shirt gris, les yeux fermés, son visage et la portière de sa voiture Kia Pride, couverts de sang. D’autres vidéos montrent comment les forces en civil, portant des armes, brisent les vitres de la même voiture, avant de la poursuivre. La victime a été identifiée : il s’agit de Yahya Rahimi. Un autre homme, tué le même jour dans le même quartier, s’appelle Peyman Manbari, âgé de 29 ans. Dans sa dernière publication sur Instagram, il avait écrit qu’il continuerait à manifester « jusqu’à la liberté totale de [s]on peuple, de [s]a famille et de [s]a ville ».
Dans les villes kurdes, de nombreux blessés refusent de se rendre à l’hôpital, par peur d’être arrêtés. « A Sanandadj, certains hôpitaux collaborent de près avec les services de renseignement. Dans ces établissements, les blessés sont livrés aux autorités », explique Sasan Amjadi, originaire de la région, aujourd’hui vivant en Suisse. L’homme suit de près la situation dans les régions kurdes iraniennes, grâce à ses nombreux contacts sur place. « A Sanandadj, beaucoup se font soigner chez eux, avec l’aide de leurs proches », précise-t-il.
Les conditions de détention à Sanandadj sont terribles, témoignent les observateurs. « Ceux qui ont déjà été relâchés nous ont rapporté une scène horrible : des prisonniers adolescents, avant d’être envoyés dans un autre centre de détention, ont été obligés de passer dans un “tunnel d’horreur”, c’est-à-dire entre deux rangs de militaires, debout l’un en face de l’autre, qui les frappent », explique la directrice du Kurdistan Human Rights Network, Fatemeh Karimi.
Lundi, Amnesty International s’est dit de son côté « alarmé » par la répression des manifestations à Sanandadj, « alors que des informations font état d’usage d’armes à feu et de gaz lacrymogènes tirés sans discernement par les forces de sécurité, y compris dans les habitations ».
La province du Kurdistan est une région qui, historiquement, a toujours tenu tête à la République islamique d’Iran. Les appels à la grève y sont très suivis, le taux d’abstention aux élections, très élevé. Les habitants, majoritairement sunnites, font l’objet de discriminations, et la répression a toujours été plus sévère dans cette partie du pays qu’ailleurs.
La République islamique d’Iran, quant à elle, ne cesse d’attribuer la responsabilité des manifestations dans les régions comme Sanandadj à ses ennemis à l’étranger, notamment les groupes d’opposition iraniens kurdes, installés dans le Kurdistan d’Irak. Ces groupes ont mené une insurrection armée contre Téhéran, notamment après la révolution de 1979 et jusqu’à la fin des années 1980. Ces dernières années, leurs activités militaires étaient en recul.
Lundi, pour la première fois depuis le début des manifestations en Iran, les travailleurs du complexe pétrochimique et de la raffinerie d’Asalouyeh (sud) ont cessé de travailler et bloqué la route : une grève lancée en soutien aux manifestants. Au cours des dernières années, les travailleurs iraniens ont mené des grèves généralisées dans tout le pays ayant principalement des objectifs syndicaux. Qu’une grève ouvrière soit mise en place pour soutenir une contestation politique est un événement rare. Les grèves générales en Iran ont été l’un des éléments importants qui ont mené à la révolution de 1979 et à la chute de la dynastie Pahlavi.