lemonde.fr | par Laure Stephan | 28/05/2021
Avec le scrutin organisé mercredi 26 mai, le pouvoir syrien réaffirme son opposition à tout processus de transition politique, tout en escomptant une détente sur la scène arabe.
Dans le script, c’est une course pour le pouvoir entre trois candidats qui se jouait, mercredi 26 mai, avec l’élection présidentielle en Syrie. Mais les portraits du chef de l’Etat syrien, à la tête du pays depuis plus de vingt ans, omniprésents à Damas, sont accompagnés de slogans sans équivoque : « Nous choisissons l’avenir. Nous choisissons Bachar Al-Assad. » Les résultats n’étaient pas connus, jeudi matin, mais le dénouement est sans suspense : les deux concurrents sélectionnés pour la forme, Abdallah Salloum Abdallah, un ancien ministre, et Mahmoud Ahmed Mareï, un opposant de l’intérieur, n’ont aucune chance de l’emporter. Au mieux peuvent-ils espérer un strapontin dans un futur gouvernement. Bachar Al-Assad entamera lui un quatrième mandat de sept ans.
Combien de Syriens auront-ils voté dans le pays en ruine, où des centaines de milliers de personnes ont été tuées, et des millions déplacés ou exilés, au cours de dix ans de conflit ? –avec pour point de départ la répression sanglante par les forces prorégime de la révolte populaire, qui a mué dans une guerre rapidement internationalisée. La fermeture des bureaux de vote, sur les deux tiers du territoire sous contrôle loyaliste, avait été repoussée à minuit, mercredi, en raison du « fort afflux ».
Mais dans la région de Deraa, berceau du soulèvement syrien, dans le sud, où les troubles n’ont pas cessé depuis la « réconciliation » scellée sous égide russe en 2018 entre insurgés et régime, les appels au boycottage – « N’élisez pas le criminel de notre époque » – ont gâché la grand-messe. Dans les régions kurdes du nord-est, sous protection américaine, le vote n’a pas eu lieu. Pas plus que dans la partie de la province d’Idlib, dans le nord-ouest, sous influence turque et tenue par des groupes djihadistes et rebelles : la « farce »électorale y a été moquée.
Une élection « ni libre ni juste »
Bachar Al-Assad a choisi un lieu symbolique pour voter : Douma, dans la banlieue de Damas, ancien bastion rebelle, reconquis militairement en 2018. Comme s’il s’agissait de souligner, au milieu des destructions, que le régime a survécu à la guerre et que tout soulèvement appartient au passé. L’opposition en exil est très affaiblie, et était exclue du scrutin.
La ville de Douma est un lieu de contentieux entre Occident et Syrie : une attaque au chlore y fut menée lors de l’offensive de 2018. Les Occidentaux accusèrent alors les forces du régime de l’avoir perpétrée avant, en représailles, de mener des frappes sur des installations militaires syriennes. Mardi, les ministres des affaires étrangères français, allemand, italien, britannique et américain avaient condamné une élection « ni libre ni juste. ». Bachar Al-Assad leur a répondu depuis Douma : « La valeur de vos opinions est nulle. »
Fort du soutien (militaire, diplomatique ou économique) de la Russie et de l’Iran, son message est limpide : la décision, affirme Damas, reste en Syrie. Un pays toutefois sous perfusion. Une fois le rideau des élections retombé, la réalité reprendra le dessus sur l’intermède des démonstrations de culte de la personnalité. Les slogans de campagne resteront sans réponse : que ce soit la lutte contre la corruption ; la reconstruction ; ou le sort des prisonniers et des disparus que le candidat Mahmoud Ahmed Mareï a dit défendre. La population est exsangue. Soumis à des sanctions occidentales, gangrené par la corruption et l’affairisme, frappé par le désastre financier qui touche le Liban (ex-poumon économique de la Syrie), privé de l’essentiel de ses ressources énergétiques, sous contrôle kurde, le pays suffoque.
Silence arabe assourdissant
Toutefois, le régime escompte un nouvel acte. Damas, comme son parrain russe, mise sur une détente sur la scène régionale. Autant les condamnations occidentales ont été répétées, autant le silence arabe a été assourdissant en amont du scrutin. Il semble loin, le temps où la Syrie était suspendue par ses pairs de la Ligue arabe, en 2011.
Des signes sont scrutés par les observateurs : en visite à Moscou en mars, le chef de la diplomatie émiratie, Abdallah ben Zayed Al-Nahyane, avait critiqué la « loi César », ce volet de sanctions américaines entrées en vigueur en 2020, qui punit toute transaction avec le régime. Un appel du pied à Washington de la part des Emirats arabes unis, qui ont rouvert leur chancellerie à Damas en 2018. Du côté de l’Arabie saoudite, la visite d’une délégation sécuritaire en Syrie, rapportée début mai, comme l’accueil officiel d’un ministre syrien, à la veille du scrutin, indiquent aussi une inflexion.
« Un rapprochement est attendu : les pays du Golfe veulent contrecarrer l’influence iranienne dans la région, et une démocratie en Syrie ne les intéresse pas, affirme un expert syrien. Cela ne veut pas dire que le rapprochement sera rapide. Mais les pays du Golfe devraient redoubler d’efforts afin que Washington desserre l’étau et les laisse renouer avec Damas. Pour le régime, c’est important, avec ce que cela sous-entend comme soutien financier. Le premier pas que l’on peut attendre est la réintégration de la Syrie dans la Ligue arabe. C’est symbolique, mais cela le sortirait de son isolement. » Ce scénario a été plus d’une fois avancé, sans se concrétiser. Mais les rumeurs sont devenues plus insistantes.