Lemonde.fr & AFP
Huit journalistes arrêtés sont en cours de libération, mais deux autres restent aux mains des autorités. Le correspondant de la BBC a été expulsé et une chaîne turque proche de l’opposition a vu sa diffusion interrompue.
La contestation est entrée dans sa deuxième semaine en Turquie où les autorités, confrontées à des manifestations d’une ampleur inédite depuis douze ans, ont ordonné, jeudi 27 mars, la libération de huit journalistes, arrêtés lundi à Istanbul et Izmir pour avoir couvert des rassemblements interdits.
Parmi eux, le photographe de l’Agence France-Presse (AFP) Yasin Akgül, arrêté lundi à l’aube à son domicile à Istanbul, a été libéré de prison jeudi après-midi. Les poursuites contre le reporter, âgé de 35 ans, n’ont cependant pas été levées par la justice, a précisé son avocat à l’AFP. « En tant que photojournaliste d’une agence de presse internationale, mon arrestation chez moi, à l’aube, est totalement illégale. Je n’ai fait que mon travail », a déclaré Yasin Akgül à sa sortie de prison. « Le journalisme et prendre des photos, ce sont les deux seules choses que je sache faire », a-t-il ajouté, estimant que « cette arrestation vise à nous empêcher de prendre des photos sur le terrain ».
L’ONG Reporters sans frontières (RSF) s’est dite « soulagée » par l’annonce de la libération des huit journalistes. RSF a cependant exigé la libération des deux autres journalistes encore aux mains des autorités, qui, selon une ONG, sont toujours en garde à vue après avoir été arrêtés à Izmir (Ouest), troisième ville du pays et bastion de l’opposition. Un porte-parole de l’Union européenne a fait savoir jeudi que Bruxelles « déplore » les arrestations de journalistes et exige de la Turquie qu’elle respecte la liberté des médias.
La chaîne de télévision turque Sözcü TV, proche de l’opposition, a aussi été condamnée jeudi à dix jours d’interruption de ses programmes pour « incitation du public à la haine et à l’hostilité », a annoncé le Haut-Conseil turc de l’audiovisuel (RTÜK).
Par ailleurs, le correspondant de la BBC à Istanbul, Mark Lowen, a été expulsé de Turquie par les autorités, qui l’accusent de représenter « une menace pour l’ordre public », a annoncé jeudi le groupe audiovisuel public britannique. « Il s’agit d’un incident extrêmement préoccupant et nous allons le faire savoir auprès des autorités turques », a déclaré la directrice générale de BBC News, Deborah Turness, citée dans un communiqué.
La vague de contestation a été déclenchée par l’arrestation pour « corruption » le 19 mars du populaire maire d’opposition d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, principal rival du président Recep Tayyip Erdogan. Des étudiants ont protesté mercredi dans plusieurs universités d’Ankara, la capitale. Dans l’une d’elles, plusieurs dizaines de leurs professeurs ont également dénoncé, en toges, les « pressions » exercées par le pouvoir sur l’opposition et les universités.
A Istanbul, où la contestation est la plus marquée, la soirée de mercredi a été plus calme que les jours précédents, ont constaté des journalistes de l’AFP. Le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), principale force de l’opposition, qui conviait jusque-là chaque soir des dizaines de milliers de personnes à se rassembler devant l’hôtel de ville d’Istanbul, a cessé de le faire, appelant à un très large rassemblement samedi à un autre endroit de la ville.
Une coordination étudiante d’Istanbul a également appelé à une manifestation en fin de journée jeudi dans un arrondissement dont le maire a lui aussi été arrêté et démis de ses fonctions et où des milliers de jeunes avaient défilé mardi soir sous les applaudissements de riverains, les visages souvent masqués de peur d’être d’identifiés par la police.
Le président Erdogan, qui a durci le ton contre l’opposition mercredi, suggérant que de nouvelles enquêtes pour corruption pourraient s’abattre sur le CHP, a affirmé à plusieurs reprises qu’il ne céderait pas à la « terreur de la rue ». Les autorités, qui ont interdit les rassemblements dans plusieurs grandes villes du pays, ont annoncé mardi avoir arrêté plus de 1 400 manifestants depuis le début de la vague de contestation.
Emmanuel Macron a dénoncé jeudi, à l’issue d’une réunion à Paris d’une coalition des Etats soutenant l’Ukraine, des « atteintes » et des « agressions » en Turquie qu’« on ne peut que regretter ».
Le Monde avec AFP