- LE MONDE [16 décembre 2005]
Face à ses accusateurs, l'écrivain, qui avait refusé en 1998 le statut d'artiste d'Etat, n'est pas décidé à renier ses propos. Volontiers provocateur, se plaisant dans un rôle d'ambassadeur des libertés, il s'est montré offensif. "Le gouvernement turc a peur de se dresser face à la vieille garde nationaliste", a-t-il affirmé.
Ce procès est symbolique d'une liberté d'expression sévèrement encadrée. Le commissaire européen à l'élargissement, Olli Rehn, a averti que "ce n'est pas Orhan Pamuk qui est jugé mais la Turquie". Et d'autres procédures, au titre de l'article 301 du nouveau code pénal, visent actuellement de nombreux éditorialistes, journalistes ou éditeurs.
Mais derrière l'affaire médiatique se joue un bras de fer politique. Le gouvernement dirigé par le Parti de la justice et du développement (AKP) est pressé par l'Union européenne de confirmer son engagement démocratique. Il se heurte à des résistances de partis nationalistes, de l'armée et de l'administration : "l'Etat profond", selon l'expression consacrée en Turquie.
Et, en dépit d'un indéniable progrès de la liberté d'expression, qui a permis la tenue, en septembre, d'une conférence universitaire sur la question arménienne, les tabous ont la peau dure. Notamment les questions sensibles du génocide arménien, de l'occupation de Chypre et du problème kurde. Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, s'est voulu rassurant : "Le résultat pourrait bien être un acquittement", a-t-il anticipé il y a une semaine.
Ohran Pamuk a été pris à partie, vendredi, au tribunal d'Istanbul par une foule de manifestants d'extrême droite parvenus à s'introduire jusqu'à la porte de la salle d'audience, et accusant le prévenu d'être un "traître à la nation" turque. Une femme a frappé M. Pamuk à la tête avec un dossier quand celui-ci se dirigeait vers le tribunal. A la sortie de l'audience, des manifestants ont tenté d'empêcher la voiture de M. Pamuk de partir et ont lancé des oeufs contre le véhicule.