Erdogan devra négocier avec l'opposition pour réformer la Constitution

mis à jour le Lundi 13 juin 2011 à 12h28

France24.com

Malgré le succès de l'AKP aux législatives, le Premier ministre turc devra négocier avec l'opposition pour réformer la Constitution. Son parti n'a pas réussi à dépasser le seuil de 330 sièges au Parlement qui lui aurait permis d'en faire l'économie.

La victoire du parti du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan aux législatives de dimanche en Turquie est sans appel. Après le dépouillement de la quasi-totalité des bulletins de vote, le Parti de la justice et du développement (AKP) s’adjuge la majorité absolue au Parlement qui compte 550 sièges, avec plus de 50 % des voix et 326 députés.

Fort d’une troisième victoire consécutive, l'AKP, issu de la mouvance islamiste, enregistre une progression fulgurante puisqu’il avait obtenu 47 % des suffrages aux législatives de 2007 et 34 % des voix à celles de 2002. Seul bémol : la formation aura moins de députés que lors de la dernière législature, en raison du système électoral turc qui repose sur un vote à la proportionnelle.

Victoire au goût amer

"La victoire en nombre de voix est impressionnante pour Erdogan. Ce dernier a insisté sur le fait qu’un électeur turc sur deux avait voté pour son parti. Mais malgré ce résultat, le Premier ministre ne pourra pas réformer la Constitution comme il l’entend", explique à FRANCE 24 Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie contemporaine à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

En effet, selon les projections des médias turcs, l’AKP n'obtient pas la majorité des deux tiers (367 sièges) qu'il espérait à la Grande Assemblée nationale, seuil légal requis pour modifier, sans l’aval des autres formations ou de l’opinion publique, la Constitution rédigée dans la foulée du coup d’État perpétré par l’armée en 1980. Pis : la formation d’Erdogan reste même au-dessous des 330 députés indispensables pour soumettre les modifications de la Constitution à un référendum, avant de les faire valider par les autres partis politiques représentés au Parlement.

"La question constitutionnelle était au cœur des débats pendant la campagne. Il s’agit désormais du plus grand défi d’Erdogan, qui est forcé de composer avec l’opposition", analyse pour FRANCE 24 Ariane Bonzon, journaliste sur le site Slate.fr, spécialiste de la Turquie. Le Premier ministre Erdogan a plusieurs fois déclaré qu'il souhaitait instaurer une nouvelle Constitution. "La réforme voulue par Erdogan consiste à faire basculer la Turquie d’un régime parlementaire à un régime présidentiel à la française", précise Mathieu Mabin, spécialiste de politique internationale à FRANCE 24. Un projet taillé sur mesure pour le Premier ministre qui fait craindre à certains une remise en cause de la démocratie turque et une dérive autoritaire du pouvoir.

De son côté, Erdogan affirme avoir entendu le message des urnes. "Notre peuple ne nous a pas simplement donné une nouvelle fois la mission de diriger le pays, il nous a donné une feuille de route. Le message de ce scrutin, c'est que nous devons bâtir une nouvelle Constitution via le consensus et la négociation", a-t-il lancé, dimanche, peu après l’annonce de la victoire de son parti.

Les Kurdes dans le rôle d’arbitre ?

Erdogan semble donc prêt à négocier, mais reste à avoir avec qui...  Le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), principale force d'opposition, a obtenu 25,8 % des voix, devançant les nationalistes du Parti de l'action nationaliste (MHP) qui a recueilli 13,2 % des suffrages. "Le score de l’opposition n’est pas très bon, ce qui va l’obliger à faire son aggiornamento. En effet, jusqu’ici, elle n’avait pas réussi à se défaire de ses vieux oripeaux d’opposition ultranationaliste, anti-européenne et proche des militaires", commente Ariane Bonzon.

L’AKP excepté, la seule autre formation à sortir gagnante du scrutin est le Parti de la paix et de la démocratie (BDP). La formation pro-kurde a réalisé une percée historique, dimanche, obtenant 36 sièges. "Les Kurdes seront mieux représentés que jamais. Cela pourrait leur permettre de faire avancer leur cause en matière de reconnaissance de leur identité, notamment en effaçant le caractère trop nationaliste de la loi fondamentale", commente Jérôme Bastion, correspondant de RFI en Turquie sur l’antenne de FRANCE 24. 

Selon lui, l’AKP ayant échoué à conquérir la majorité des deux tiers (367 sièges), la formation de Recep Tayyip Erdogan va devoir composer en abordant des questions sensibles, notamment celle qui concerne les Kurdes. "Si Erdogan fait des pas significatifs en direction des Kurdes, il obtiendra leur soutien. Dans le cas contraire, il pourra s’entendre avec le CHP, qui a fait part de sa volonté de collaborer pour réformer la loi fondamentale", conclut-il.

Si un ballet à trois pour rédiger la nouvelle Constitution s’annonce, la presse d'opposition doute cependant de la volonté réelle d’Erdogan de négocier et de tendre la main à ses opposants. "Si le Premier ministre veut gouverner en paix, il devrait ne jamais oublier qu'il y a aussi 50 %" de l'électorat contre lui, écrit lundi l'éditorialiste Mehmet Yilmaz dans le journal " Hürriyet".