Bakhtiar Amin, ministre irakien des Droits de l'homme, met en cause les partisans du dictateur déchu.
Par Marc SEMO - Bruxelles, envoyé spécial
lundi 07 mars 2005 inistre des Droits de l'homme dans le gouvernement d'Iyad Allaoui, Bakhtiar Amin est un homme plutôt bien informé. Mais sa conviction se fonde aussi sur l'expérience d'années passées à disséquer la machine de la terreur baasiste, et à dénoncer les crimes du régime de Saddam Hussein devant une communauté internationale longtemps indifférente. «Je pense que ceux qui détiennent Florence Aubenas sont d'ex-moukhabarats, c'est-à-dire des anciens des services secrets de Saddam, qui ont gardé des contacts en France. Selon les informations dont nous disposons, des associations d'anciens saddamistes s'y réorganisent, comme dans d'autres pays occidentaux. Didier Julia est un de ces lobbyistes pro-Saddam, mais en France les partisans de l'ex-dictateur peuvent compter sur de nombreux autres relais politiques», estime ce juriste kurde longtemps réfugié à Paris, qui occupe son poste depuis juin. Un portefeuille difficile dans un pays sortant de trois décennies de dictature et ravagé par la violence, les attentats et les combats.
Réseaux. «Les filières des islamistes et celles des saddamistes sont certes différentes, mais elles coopèrent de plus en plus étroitement, y compris à l'étranger. Il est nécessaire que les autorités françaises agissent pour démanteler ces réseaux qui représentent un danger réel pour nous, mais aussi pour vous», insiste Bakhtiar Amin, rappelant que trois ressortissants français venus combattre avec la guérilla islamiste sont détenus en Irak. De nombreux autres combattants étrangers ont été appréhendés, notamment 57 Saoudiens, 66 Egyptiens et 60 Syriens. La télévision irakienne Iraqia a diffusé le 25 février les témoignages de plusieurs «terroristes» ou présumés tels, venus de Syrie. Et le gouvernement irakien a plusieurs fois dénoncé le soutien de Damas à ces groupes. Mais les choses semblent bouger. La Syrie, de plus en plus isolée, est sous pression (lire aussi page 11). En témoigne l'arrestation, fin février, à la frontière syro-irakienne, de Sabaoui al-Hassan, demi-frère de Saddam Hussein, soupçonné de financer la rébellion.
Bakhtiar Amin se refuse à toute hypothèse sur les raisons de l'enlèvement de Florence Aubenas et de son interprète Hussein Hanoun. A Bagdad, certains évoquent des suites de l'enlèvement de Christian Chesnot et Georges Malbrunot et des questions financières restées en plan, tout en s'étonnant de la durée du rapt car ce genre de problèmes peut se résoudre assez rapidement. D'autres pensent plutôt à des pressions politiques sur Paris. «On peut s'interroger sur les motivations de ces ex-saddamistes, au moment où les autorités françaises commencent à changer d'attitude face à l'Irak en prenant acte du succès des élections, et alors qu'il y a un rapprochement franco-américain sur l'ensemble du dossier du Proche-Orient», dit le ministre irakien, soulignant la volonté des autorités de Bagdad «de tourner la page sur les différends du passé».
Lors de sa tournée régionale, juste après l'enlèvement de Georges Malbrunot et Christian Chesnot, début septembre, le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, avait ostensiblement ignoré les autorités de Bagdad. Attitude jugée «irrespectueuse» par nombre de responsables irakiens, d'autant que Paris avait annulé peu après une visite prévue du Premier ministre Allaoui. En novembre, le président Jacques Chirac avait même précipitamment quitté Bruxelles alors qu'Allaoui venait y rencontrer les chefs d'Etat ou de gouvernements de l'Union européenne. Un (timide) réchauffement a commencé en janvier, avec la visite du président intérimaire Ghazi al-Yaouar qui avait été repoussée deux fois l'automne précédent.
Sévices. Militant connu des droits de l'homme et animateur d'Alliance pour la justice, une ONG qui a oeuvré après les bombardements à l'arme chimique contre les Kurdes en 1988 et les massacres de l'opération Al-Anfal (au moins 200 000 morts) pour la mise en accusation de Saddam Hussein devant un tribunal international, Bakhtiar Amin reconnaît volontiers les difficultés de sa tâche. «Avant d'accepter ce poste, en juin, je me suis rendu dans la prison d'Abou Ghraib, où à l'automne précédent des gardes américains avaient infligé aux prisonniers des sévices ignobles. Je voulais voir si je pourrais réellement exercer mes fonctions. J'ai pu faire cette inspection surprise. Là, comme dans d'autres centres de détention tenus par les forces de la coalition, nous avons créé des antennes où les prisonniers peuvent venir rapporter les sévices subis. Cela ne les empêchera pas à 100 %, mais ça se saura, et nous pourrons intervenir», assure-t-il.
Procès. De par ses fonctions, il s'occupe du droit des victimes de la dictature. En Irak, il y a quatre millions de réfugiés hors du pays, 1,5 million de déplacés, 1 million de disparus, victimes de la terreur ou des guerres, et 1,5 million d'handicapés. De nombreux sites de charniers ont été identifiés. Des milliers de dépouilles ont été mises à jour, mais il n'y a pas en Irak un seul laboratoire à même de faire les tests ADN qui permettraient d'identifier les victimes. Le pays manque aussi de médecins légistes à même de mener les expertises. Cela est pourtant essentiel comme élément de preuve dans les prochains procès où seront jugés les plus hauts responsables du défunt régime dont Saddam Hussein. «C'est une gageure d'occuper un tel poste dans un pays qui ne peut ni chérir un passé hanté par les séquelles de la dictature et de la terreur, ni aimer un présent hypothéqué par un terrorisme aveugle et les défis sécuritaires», reconnaît le ministre des Droits de l'homme, qui ajoute avec un sourire : «Mais raison de plus pour construire l'avenir.»