Par Jean-Pierre PERRIN
Téhéran envoyé spécial
Samedi 25 novembre 2006
Le président Talabani demande à Téhéran son aide face à la guerre civile.
C'est la consécration que la République islamique attendait depuis plus de vingt ans : être reconnue comme une grande puissance régionale.
L'enlisement des Etats-Unis en Irak et l'intervention israélienne cet été au Liban, qui a vu l'allié de Téhéran, le Hezbollah «donner une gifle à Israël», selon l'expression du plus respecté des analystes militaires israéliens, lui en donnent l'occasion. En invitant samedi Jalal Talabani, le président irakien, puis le lendemain un haut responsable syrien pour discuter de la tragique situation de l'ancienne Mésopotamie, l'Iran se voit consacré comme un partenaire à part entière dans la recherche d'une solution. Avec, sans doute, l'assentiment tacite de Washington : on n'imagine pas que cette visite du leader kurde ait pu être décidée sans un accord américain. Elle a finalement été reportée à la dernière minute en raison de la situation dramatique que connaît actuellement Bagdad, qui a entraîné un couvre-feu total et la fermeture de l'aéroport.
Hier, la presse iranienne s'était déjà félicitée de l'événement : «L'invitation et la réunion vont mettre à mal le portrait que l'Occident a fait du président iranien et montrer que M. Ahmadinejad est un partenaire régional responsable, soucieux de promouvoir la stabilité de l'Irak en guerre», écrivait mercredi le quotidien Iran News. «L'émergence graduelle de l'Iran comme puissance régionale est devenue un sujet de débat à la fois parmi les partisans et les opposants de la République islamique», se félicitait de son côté le quotidien radical Kayhan. Téhéran a pris d'autres initiatives : il a proposé une alliance régionale avec l'Irak et les six monarchies du Golfe. Une proposition destinée à rassurer ses voisins inquiets devant le développement de son programme nucléaire.
Les dirigeants iraniens attendent de la rencontre de Téhéran qu'elle initie un dialogue avec Washington. «Si les Américains font un demi-tour politique et sont sincères dans leur volonté d'inviter Téhéran et Damas à des discussions, au lieu de lancer des menaces belliqueuses, cela pourra déboucher sur un nouveau départ historique pour le Moyen-Orient», commentait aussi Iran News. Ce que veut Téhéran, c'est proposer un marché à Washington qui pourrait se résumer ainsi : nous vous aidons en Irak si vous nous laissez les mains libres sur le nucléaire. Même espoir pour Damas, où le marché concerne cette fois le Liban, que le régime baasiste veut à tout prix récupérer. En attendant, les deux capitales campent sur des positions dures : Ahmadinejad parle à présent de 60 000 centrifugeuses pour l'Iran. Et on peut voir la main de Damas dans l'assassinat, mardi, du ministre libanais Pierre Gemayel.
Cependant, même si Damas et Téhéran cessent ce que Bagdad appelle leurs «ingérences», la guerre civile en Irak a atteint une telle gravité qu'elle n'a besoin d'aucun agent extérieur pour se développer. L'attentat jeudi à Sadr City et la crise politique sans précédent qu'il provoque le montrent. Dès lors, c'est un «sommet» symbolique, fait pour donner une image flatteuse du président iranien, qui se tient à Téhéran. D'ailleurs, comme le veut la nouvelle Constitution, la présidence de Talabani est elle-même symbolique, la réalité du pouvoir à Bagdad étant exercée par l'ambassadeur américain Zalmay Khalilzad. De plus, le diplomate n'a certainement pas besoin du président irakien pour passer des messages à Téhéran. Il semble qu'il rencontre déjà son homologue iranien.
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