Turquie | Avec le bras de fer entre islamistes et laïcs, le débat sur l’élection du président et la résurgence de la question kurde, les problèmes s’accumulent à l’approche des législatives de juillet prochain.
A quelques semaines des élections anticipées prévues le 22 juillet en Turquie, un nouvel épisode du bras de fer, qui oppose les laïcs aux islamistes, s’ouvre cette semaine avec la décision du président turc, Ahmet Necdet Sezer, de soumettre à référendum une réforme controversée du parti au pouvoir mettant en place le suffrage universel. Cette décision, qui intervient un mois après les grandes manifestations laïques contre la candidature de Abdullah Gul, ministre des Affaires étrangères, issu de la mouvance islamique (AKP), suscite de larges craintes chez les laïcs, pour qui le vote pourrait conduire un islamiste à la tête du pays et remettre en cause la tradition laïque de la Turquie. En effet, la décision du président ne constitue pas une surprise, car il avait rejeté la candidature de M. Gul et rejeté la réforme de la Constitution après une première adoption par les députés le 10 mai. La disposition la plus importante de la série d’amendements, déposée par l’AKP, parti au pouvoir, est l’élection du président au suffrage universel à deux tours pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois, au lieu d’un septennat unique actuellement. Le projet, qui modifie le mode d’élection, sans toucher aux fonctions honorifiques du président, prévoit aussi l’organisation des législatives tous les 4 ans au lieu de 5. Face à un deuxième vote du texte dans les mêmes termes le 31 mai, le président n’avait que deux options devant lui : soit le promulguer, soit appeler à un référendum. « Sezer n’avait pas de choix. Il était obligé d’appeler à un référendum. Sa dernière décision signifie qu’il a perdu sa guerre avec les islamistes. Le 22 juillet, le peuple pourrait bien choisir un président islamiste à la tête du pays, ce qui constituerait un coup dur pour les laïcs. En acceptant les élections du 22 juillet, le président et les forces laïques veulent se donner du temps pour faire une vague de mobilisation et une vaste campagne électorale pour tenter de gagner le peuple à leur côté », analyse le Dr Hicham Ahmad, professeur à la faculté de sciences économiques et politiques de l’Université du Caire.
L’adhésion à l’UE, un rêve lointain
Outre les questions internes, la guerre qui oppose les laïcs aux islamistes pourrait avoir de graves répercussions sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, un rêve qui hante Ankara depuis longtemps. Cette nouvelle crise politique vient s’ajouter à une longue liste de facteurs qui achoppent toujours sur l’adhésion de ce pays au club européen. Parmi ces facteurs figurent le dossier des droits de l’homme, la crise chypriote et la rébellion kurde qui ne cesse de faire des victimes chaque jour dans le pays. Samedi, une bombe a explosé dans la région de Diyarkabir (sud-est), où sont regroupés les Kurdes depuis 20 ans, faisant 5 blessés et un mort. « Tous ces facteurs prouvent aux Européens que la Turquie n’est pas encore digne d’adhérer à l’UE. Aux yeux des Européens, la Turquie est un pays instable, où les droits de l’homme sont foulés aux pieds, et où les minorités sont écrasées. Cette dernière décision de M. Sezer vient mettre de l’huile sur le feu, car elle laisse la porte grand ouverte à la nomination d’un président islamiste à la tête du pays, ce que les Européens ne peuvent jamais accepter car ceci dirait que les islamistes domineraient toutes les institutions du pays. D’ores et déjà, le rêve d’une adhésion au club européen est devenu une illusion », explique le Dr Hicham.
L’un des premiers pays à s’opposer à la candidature de la Turquie à l’UE serait la France. Déjà, le gouvernement français a affirmé, cette semaine, qu’il pourrait bloquer, lors de la réunion des Européens le 26 juin, l’ouverture des chapitres jalonnant les négociations d’adhésion avec Ankara. En effet, les 27 pays européens doivent se réunir le 26 juin à Bruxelles pour donner leur aval à l’ouverture, sur proposition de la Commission européenne, de nouveaux chapitres d’adhésion. Trente-cinq chapitres – traitant des sujets les plus divers, économiques fiscaux, sociaux et juridiques – doivent jalonner la longue préparation de l’entrée de la Turquie dans l’UE. Deux des trois chapitres, qui devraient être étudiés à la fin du mois, portent sur le contrôle financier, tandis que le troisième traite de l’union économique et monétaire. C’est ce dernier chapitre qui pose le plus de problème aux Français. Juste après son élection à la tête du pays, M. Sarkozy a affirmé qu’il « ne pense pas que la Turquie ait sa place dans l’Union ». Il propose pour ce pays un « partenariat privilégié » avec l’UE plutôt qu’une adhésion pleine et entière, ardemment défendue par des pays comme la Grande-Bretagne, la Suède ou l’Espagne. Outre la France, Chypre a annoncé, cette semaine, être prête à mettre son veto à l’adhésion de la Turquie, rappelant toujours le refus d’Ankara de normaliser ses relations avec Chypre.
Maha Al-Cherbini