Il commence par réaliser en 1997 Vive la mariée… et la libération du Kurdistan et s’est depuis imposé en s’engageant avec subtilité pour la cause de ce peuple déchiré. Il enchaîne avec Passeurs de rêves, Absolitude, Vodka Lemon, Kilomètre zéro et aujourd’hui avec Dol ou la vallée des tambours, qui sera présenté au Festival de Berlin. Il s’arrête ici, au travers d’un film proche du documentaire, sur la situation sociale du pays, en se focalisant sur le cheminement d’un personnage fuyant l’oppression turque et traversant le Kurdistan irakien puis iranien, espérant juste pouvoir se poser pour exister. Un film grave, âpre, à la mise en scène minimaliste cherchant à se rapprocher avec réalisme d’une vérité politique dramatique. Alors qu’il vient d’achever le tournage de son prochain film, Sous les toits de Paris, avec Michel Piccoli et Mylène Demongeot, Hiner Saleem a accepté de revenir sur cette nouvelle expérience reposant sur son seul espoir d’une nouvelle liberté pour son peuple.
Quelle est aujourd’hui la situation politique du Kurdistan ? Depuis la première Guerre Mondiale, le Kurdistan est divisé entre la Turquie, l’Iran, l’Irak, et la Syrie. Ces Etats ont pratiqué une politique d’assimilation forcée de déportation, allant jusqu’au génocide. Mais les Kurdes n’ont jamais cessé de lutter pour défendre leur liberté. Aujourd’hui la situation commence à évoluer, il y a un réel espoir, notamment du côté de l’Irak. La plus grande partie du Kurdistan est annexée par la Turquie, qui ne reconnaît pas le peuple Kurde et nous surnomme "les Turcs des montagnes". C’est donc très difficile pour le peuple Kurde, qui vit une situation quelque peu similaire à ce qui s’est passé en Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Je reconnais qu’il y a une sorte de démocratie, avec des partis politiques, une certaine forme d’immigration… mais pour les Kurdes, tout est interdit. Aujourd’hui, en 2007, ils sont encore obligés de chanter sur la place publique : "je suis Kurde, je suis pauvre." En Irak, en revanche, après la chute de Saddam Hussein tout a changé. Via la nouvelle constitution l’Irak est devenu un Etat Fédéral où les Kurdes peuvent circuler librement. La partie irakienne du Kurdistan est vraiment à l’opposé de ce qu’on peut entendre sur l’Irak, il n’y a pas de violence, pas de terrorisme, les frontières sont contrôlées, c’est une vraie démocratie.
Pour vous le cinéma s’est immédiatement imposé comme le meilleur moyen d’exprimer ce que vous ressentiez ? C’est plus le hasard qui m’y a conduit. Quand j’étais gamin, nous avons fui les massacres irakiens et nous nous sommes réfugiés dans les montagnes. Nous n’avions rien, pas d’eau, pas d'électricité, rien ! Mais nous avions des livres et j’adorais lire, cela me permettait d’échapper à la réalité. Un jour, mon père a ramené un livre illustré, je crois que c’était la première fois de ma vie que je voyais un dessin. J’avais l’impression de découvrir quelque chose de mystique. Mon père m’a dit que le peintre s’était inspiré de la poésie, du coup je me suis mis à écouter attentivement les poèmes qu’il nous lisait. Plus tard, je me suis tourné vers la peinture, avant de découvrir les premiers programmes de télévision. J’étais déjà un amoureux de l’image, mais en voyant les premières images à la télévision, je me suis dis que c’était le support idéal, il alliait poésie, image, peinture, musique, j’ai senti que c’était vraiment ainsi, vers l’image que j’avais envie d’aller. Au-delà, il est certain qu’au travers du cinéma, je lutte d’une certaine façon pour la liberté du peuple kurde. On me dit que je suis engagé ou militant, mais tout ce que je veux c’est que tout le monde vive librement.
Vos films sont-ils aujourd’hui diffusés sur les différents territoires abritant les Kurdes ? Pour certains de ces pays il est bien évidemment hors de question de le sortir. Il y avait une sortie prévue en Turquie, mais elle a été annulée par le ministère de l’intérieur. Sur les territoires kurdes, c’est difficile d’avoir un relais pour le cinéma, la musique est accessible à tout le monde, mais pour les films c’est vraiment plus dur d’accès, cela implique plus de bâtiments, du matériel… je ne peux donc pas compter sur un public auquel je tiens personnellement.
Comment avez-vous réussi à vous former au langage cinématographique ? Je suis en fait un analphabète du cinéma. Je ne suis pas du tout cinéphile et si j’avais fait des études de cinéma, je n’aurais jamais réalisé aucun film, cela m’aurait certainement semblé beaucoup trop compliqué.
Comment avez-vous réussi du coup à tourner votre premier film ? Lorsque la guerre a commencé en Irak, j’étais en Italie et j’avais une caméra, j’ai donc décidé de me rendre sur place et de filmer ce qui s’y passait. J’ai eu la chance que les images que j’avais montées puissent être présentées au Festival de Venise, ce qui m’a permis de trouver les fonds pour réaliser mon premier film Vive la mariée… et la libération du Kurdistan, une comédie qui se passe à Paris.
Par rapport à vos précédents films, qu’est ce que Dol apporte de nouveau ? J’ai essayé de raconter quelque chose de plus actuel, une histoire qui permettrait à ceux qui n’en ont pas encore conscience de comprendre ce qui se passe au Kurdistan. J’avais aussi envie de filmer les montagnes kurdes. Mes films partent néanmoins toujours d’une idée qui me taraude, ici c’est une phrase qui m’a choqué lorsque je me suis rendu en Turquie, "Heureux celui qui se dit Turc". Cette phrase résume pour moi l’idéologie officielle qui règne toujours en Turquie et l’abnégation du peuple kurde. C’est l’idée de départ pour moi de Dol. Le ballon blanc qui s’envole à la fin du film, qui s’envole toujours plus haut pour finir par disparaître est l’image pour moi d’une urgence, celle que cette oppression prenne fin. C’est pour cette raison que j’ai tourné ce film.
Pourquoi avoir choisi de vous centrer sur plusieurs personnages, de vous focaliser sur une trame narrative assez décousue ? Les films trop linéaires m’ennuient et je voulais vraiment que l’on saisisse différentes destinées qui se rejoignent sans forcément s’arrêter trop longuement sur un personnage. Comme j’étais producteur sur le film j’ai pu faire ce que je voulais.
Ce fut un film difficile à produire ? J’avais le choix entre faire un film pour un large public, auquel cas j’avais accès aux subventions du cinéma français, mais cela impliquait que je devais tourner le film en Français, avec une partie de l’équipe technique française. J’ai préféré tourner le film avec mes propres moyens, en Kurde, et au Kurdistan. Je connais tout le monde là-bas, donc ce fut assez facile, j’ai obtenu différentes aides et j’ai du coup bénéficié d’une totale liberté.
Que signifie "Dol" ? Cela signifie "tambour", et aussi "vallée". En français c’est un terme juridique qui signifie s’approprier illégalement le bien d’autrui par le biais d’une manœuvre frauduleuse. C’est donc très symbolique de ce que traverse le peuple kurde.
Vous avez été tourné le film sur place, en Irak ? En Kurdistan irakien et près de la frontière avec la Turquie. Nous n’avons eu aucun problème du coté irakien, c’est vraiment un pays libre. Ce fut plus compliqué près de la Turquie parce qu’il n’y a pas vraiment de frontière légale et que les autorités sont plutôt hostiles. Certains Kurdes ont été jusqu’à déchirer le drapeau que nous avions gravé avec des pierres pour les besoins du film. Il nous a fallu leur expliquer longuement que c’était pour le besoin d’un film, qu’il était factice, ils avaient du mal à l’accepter. Nous avons perdu une journée de tournage du coup, mais ce sont juste de petits désagréments.
Les comédiens, ce sont des professionnels ou vous avez choisi une optique plus proche du documentaire ? Ce ne sont pas des acteurs dans la majorité. Certains sont chanteurs, d’autres ont fait un peu de théâtre. Les deux héroïnes sont actrices, l’une d’elle a déjà tourné avec moi, c’était un mélange.
Qu’est-ce qu’il émane pour vous de cette nouvelle expérience ? Je suis vraiment heureux que le film ait été traduit en plusieurs langues. Toute nouvelle expérience est formatrice, enrichissante ? Cette année j’ai fait deux films, j’en termine un qui sera purement français, Sous les toits de Paris avec Michel Piccoli, Mylène Demongeot et Maurice Bénichou que j’ai commencé juste après Dol. Je reviens sur la canicule de 2003, sur les nombreux morts que cette catastrophe a engendrés en France. Cela ne serait jamais arrivé au Kurdistan même si les conditions de vie sont beaucoup plus précaires, pour la seule raison qu’il y a une réelle solidarité familiale, amicale, les personnes âgées ne sont jamais abandonnées. J’avais très envie d’aborder ce problème.
Propos recueillis par Sophie Wittmer
DOL OU LA VALLEE DES TAMBOURS Un film de Hiner Saleem Avec Nazmi Kirik, Belcim Bilgin, Omer Çiaw Sin Durée : 1h30 Date de sortie : 24 janvier 2007 Sophie Wittmer |
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