13 juil. 2006
Le journaliste iranien Akbar Ganji, ancien prisonnier politique, milite pour un changement de régime dans son pays. Il revient sur l'échec du mouvement réformateur en Iran, la crise du nucléaire iranien et nous confie ses idées pour parvenir à transformer la république islamique d'Iran en une démocratie.
Akbar Ganji, journaliste réformateur, a été détenu pendant cinq ans à la prison d'Evine, à Téhéran, pour avoir écrit que des dignitaires du régime étaient impliqués dans une série d'assassinats politiques qui ont eu lieu en 1998 dans le pays. Libéré en mars 2006 après quarante jours de grève de la faim, il est l'auteur d'un "Manifeste républicain" qui propose l'esquisse d'un Iran démocratique.
Courrier international : Le gouvernement américain propose une stratégie de "changement de régime" en Iran. Condoleezza Rice a proposé en février dernier 75 millions de dollars pour les groupes d'opposition iraniens. Est-ce une bonne initiative pour parvenir à la démocratisation du pays ?
AKBAR GANJI : La démocratie est nécessaire à la sécurité et la stabilité de la région. Mais ce projet d'octroi de 75 millions de dollars nous nuit à nous, démocrates. Il y a quelques années, on nous a déjà accusés à tort d'avoir reçu de l'argent de la CIA. Maintenant, les Américains annoncent officiellement une aide, ce qui va créer une rivalité entre certains groupes iraniens à l'étranger. De plus, quoi qu'on en dise, ces groupes seront forcément tributaires du bailleur étranger. Dans le pays, les gens comme nous, épris de liberté, patriotes et indépendants, n'acceptons ni le régime autoritaire de l'Iran ni la politique étrangère militariste poursuivie par les Etats-Unis. Nous voulons faire nos premiers pas nous-mêmes, en toute indépendance. Nous refusons d'être à la merci des étrangers. Ce projet américain affaiblit notre position. C'est une grave erreur de leur part.
Pensez-vous que la démocratie peut s'exporter ? Est-il possible de l'instaurer en militarisant la région ?
Seul l'exercice électoral peut s'exporter, comme en Irak et en Afghanistan, pays occupés où on a organisé des élections plus ou moins libres. Mais il suffit de regarder ce qui se passe en Irak pour savoir qu'avec une invasion militaire on ne peut pas créer une démocratie. Celle-ci ne peut se réaliser que si les conditions culturelles et sociales sont préalablement réunies, et c'est un processus qui ne s'impose pas de l'extérieur. Ne me dites pas non plus que ce que nous observons aujourd'hui en Afghanistan relève de la démocratie.
En Occident, on a le sentiment qu'il existe un consensus en Iran au sujet de la politique nucléaire menée par le pouvoir. Est-ce vrai ?
Contrairement aux affirmations du pouvoir, il n'existe pas de consensus en Iran à ce sujet. Les réformateurs, les intellectuels, et même certains conservateurs, l'ancien président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, s'opposent à la politique du président en matière de nucléaire. Du côté de la population, la question nucléaire est devenue un sujet de plaisanterie. Cet acharnement du pouvoir à vouloir enrichir l'uranium sur son sol risque de conduire à une guerre qui peut détruire notre pays. Je m'oppose au régime iranien, mais cela ne veut pas dire que je souhaite voir mon pays détruit. Je m'inquiète du consensus actuel en Occident contre l'Iran, consensus qui n'existait même pas au sujet de l'Irak. Il faut des négociations avec les Etats-Unis officielles, directes et ouvertes pour éviter les marchandages rendus possibles quand elles ont lieu secrètement. Mais aucune négociation ne devrait aller dans le sens du renforcement du régime. Toute négociation doit obligatoirement comporter un volet sur les violations des droits de l'homme et sur l'injustice que la nation iranienne subit. Le régime n'a même pas besoin d'avoir de prisonniers politiques, l'Iran est devenu une grande prison. Tout est censuré, plus de cent journaux ont été interdits ces dernières années, tous les moyens d'expression sont contrôlés.
Vous dites que le mouvement réformateur [au pouvoir de 1997 à 2005] n'est pas mort en Iran. Malgré les candidatures de réformateurs, vous aviez appelé au boycott de l'élection présidentielle de juin 2005, qui a conduit à la victoire de Mahmoud Ahmadinejad. Pourquoi ?
Ce mouvement avait beaucoup de faiblesses, notamment l'absence de vision commune sur les réformes à entreprendre. Notre erreur a été de croire que nous pouvions faire des réformes dans le cadre de la Constitution de la République islamique, et arriver à la démocratie en douceur. Khatami et ses hommes ne sont pas restés fidèles aux promesses qu'ils ont faites à la population. La vision optimiste de cette expérience les évalue comme des incapables, la vision pessimiste les considère comme des traîtres. Un démocrate ne rompt pas avec ses principes. Le mouvement réformateur est responsable du défaitisme généralisé dans la société. Tant qu'un référendum n'est pas accepté par le régime, il faut boycotter toutes les élections dans le cadre de la République islamique. Nous ne devons pas donner au régime la légitimité qu'il cherche. Je suis pour la résistance négative, la désobéissance, c'est-à-dire la non-collaboration avec ce régime. On aurait même dû boycotter les élections de 1997 qui ont mené les réformateurs et Khatami au pouvoir, car cette alternance a pas mal soulagé les conservateurs, qui avouaient eux-mêmes à l'époque ne pas pouvoir tenir six mois de plus. Cela aurait poussé le régime à aller au bout de sa logique. Depuis quelques mois, quand il ne s'agit pas des étudiants, des régions se soulèvent, des femmes manifestent. Mahmoud Ahmadinejad va encore faire face à des crises multiples et il ne pourra pas tenir ses promesses.