[Courrier international
14 septembre 2005]
Face aux insurgés, les autorités irakiennes entendent faire la démonstration de l'unité nationale. Elles misent sur le référendum constitutionnel du 15 octobre, en espérant qu'il emportera l'adhésion de la majorité des Irakiens.
"Les Etats-Unis ont parfaitement le droit de rapatrier d'Irak une partie de leurs troupes, parce que je pense que nous pouvons prendre la relève. De 40 000 à 50 000 soldats américains pourraient se retirer d'ici à la fin de l'année [2005], car nous disposons de forces en mesure de prendre leur relais en plusieurs régions du pays", a déclaré le président irakien Jalal Talabani dans une interview accordée au Washington Post. Talabani a néanmoins tenu à nuancer son propos, précisant que son intention n'était pas d'aboutir à "un calendrier précis pour le retrait des troupes américaines. Indéniablement, tout dépend de l'évolution de l'insurrection et des capacités des Irakiens à défendre le pays."
Les déclarations de Talabani divergent profondément de celles annoncées par George W. Bush et par les responsables militaires en Irak. En effet, "Bush a soigneusement évité de fixer un calendrier pour le retrait des quelque 140 000 soldats américains actuellement stationnés en Irak. Le Pentagone a même prévu de maintenir ses troupes, voire de les renforcer, pour assurer le bon déroulement du référendum constitutionnel, programmé pour le 15 octobre", souligne le quotidien américain. Les propos de Talabani risquent de mettre mal à l'aise le président américain, car les critiques ne manqueront pas de demander pourquoi les soldats américains ne peuvent pas rentrer chez eux quand le président irakien lui-même pense que cela est possible, poursuit le journal.
"Talabani, qui est d'origine kurde, est peut-être influencé par la situation stable qui prévaut dans le nord de l'Irak, où les Kurdes sont effectivement capables de défendre leur territoire et n'ont pas vraiment besoin du soutien militaire des Etats-Unis", signale le quotidien, citant Michael O'Hanlon, chercheur à la Brookings Institution. Dans ce contexte, Dan Bartlett, conseiller à la Maison-Blanche, a souligné que "le président américain et Talabani poursuivaient les mêmes objectifs. Au fur et à mesure que les Irakiens améliorent leur capacité à se défendre, de moins en moins de soldats américains seront nécessaires."
Dans l'immédiat, le premier objectif à atteindre serait de garantir le succès du référendum constitutionnel du 15 octobre. Le texte qui sera soumis aux électeurs est celui du projet de Constitution adopté le 28 août dernier par le Parlement irakien. Les derniers efforts pour rallier les sunnites ayant été abandonnés, les discussions informelles continuent pour tenter de rapprocher les points de vue, garantir au texte l'adhésion la plus large possible et éviter sa mise en échec lors du référendum. En revanche, le texte du projet de Constitution n'a pas encore été transmis aux Nations unies pour être imprimé à près de 5 millions d'exemplaires et distribué dans le pays.
Ce texte résulte essentiellement d'un compromis entre chiites et Kurdes, qui dominent l'Assemblée et le gouvernement, et plusieurs dirigeants de la communauté sunnite ont annoncé qu'ils feraient campagne pour le non au référendum. "Y a-t-il un chemin conduisant à la stabilité et à la démocratie en Irak ?" demande The Washington Post. Avec l'intensification de l'insurrection, qui peut s'appuyer sur de nombreux jeunes Irakiens privés d'emploi et prêts à se battre pour un peu d'argent, "de nombreux sunnites peuvent penser que le chaos, et même la mort éventuelle d'un de leurs proches, est le prix à payer pour retrouver leur place dominante en Irak". Alors que, en acceptant la Constitution, ils sont réduits à un statut de minorité et perdent leur domination sur le pays. Dans l'état actuel des choses, "il y a peu de chances qu'ils se rallient à la Constitution".
Pourtant, le texte constitutionnel adopté par consensus à l'Assemblée "offre des propositions très raisonnables pour les Arabes sunnites, qui représentent près du quart de la population irakienne. Un fédéralisme est plus avantageux pour eux qu'un Etat centralisé, dans lequel ils n'auront pas la majorité pour gouverner. De plus, la distribution des revenus pétroliers sur la base d'un partage par tête d'habitant est à même d'empêcher les Kurdes dans le Nord et les chiites dans le Sud d'accaparer les ressources naturelles du pays aux dépens des sunnites." Mais la plupart des dirigeants sunnites n'ont pas cette vision. "C'est seulement quand ils seront convaincus que l'insurrection n'a aucune chance de triompher et, surtout, quand ils seront certains que leurs vies ne sont plus menacées s'ils soutiennent publiquement le nouvel ordre politique, qu'ils accepteront un Irak fédéral et démocratique."
Pour le moment, les insurgés n'ont pas baissé les bras. En témoigne l'offensive lancée conjointement, samedi 10 septembre, par les forces irakiennes et américaines dans le bastion rebelle de Tall-Afar, ville du nord de l'Irak proche de la frontière syrienne. Une opération durant laquelle, selon un responsable du ministère de la Défense irakien, 160 insurgés ont été tués et 291 autres capturés. "Les forces gouvernementales irakiennes continuent de ratisser la ville à la recherche de suspects", signale The New York Times.
Parallèlement, un groupe d'insurgés appelé Armée islamique en Irak a offert 100 000 dollars pour l'assassinat du Premier ministre irakien [chiite], Ibrahim Al-Jaafari, ou de tout autre haut responsable irakien impliqué dans cette offensive, poursuit le journal. "Par ailleurs, les violences se poursuivent à travers le pays. Lundi 12 septembre, un attentat à la voiture piégée devant un restaurant à Mansour, dans la banlieue de Bagdad, a fait au moins 2 morts et 20 blessés. Toujours dans les environs de Bagdad, des hommes armés ont tiré dans la foule, tuant six personnes et en blessant deux autres. Et dix cadavres ont été découverts au sud de la capitale irakienne. Un véhicule transportant un représentant du très respectable ayatollah Al-Sistani a essuyé des tirs dans le sud de Bagdad. Un de ses gardes du corps a été tué et un autre blessé. Dans le Nord, à Kirkouk, deux policiers ont été tués par un homme armé qui a ouvert le feu sur le quartier général du gouvernement local", égrène The New York Times.
Ainsi, la perspective de maîtriser les violences demeure incertaine. Et l'implication des forces irakiennes dans les combats contre les insurgés accentue les divergences entre les Irakiens, au lieu de les rassembler autour d'une vision commune qui s'exprimerait dans le texte constitutionnel. Il est d'ailleurs prévu d'abandonner le document soumis au référendum s'il est rejeté par les deux tiers des électeurs dans trois des dix-huit provinces d'Irak.
Hoda Saliby