Irakiens, SDF à Paris, coincés entre deux enfers


mercredi 15 novembre 2006, 8h57 
Par Michaela CANCELA-KIEFFER


PARIS (AFP) - "Je ne sais pas où aller, en Irak pas possible. Ailleurs, pas possible": Mohamed, 22 ans, SDF à Paris, se sent, comme un certain nombre de ses compatriotes irakiens, coincé entre deux enfers, celui de la précarité de la rue et celui de son pays en guerre.
 
Selon l'association France Terre d'Asile (FTA), qui effectue des maraudes à la rencontre des SDF irakiens, pour la plupart kurdes, iraniens et afghans, chaque semaine il arrive 20 ou 30 Irakiens à Paris, avec l'espoir de gagner vite le Royaume-Uni. 

Mehdi Fedouach (AFP/AFP - mercredi 15 novembre 2006, 8h57)

La nuit, ils dorment sous des cartons, dans une ruelle qu'ils ne souhaitent pas voir identifiée, sinon "la police vient et nous prend".

Ils refusent le foyer, des "chambres avec dix personnes dedans, où seulement cinq peuvent dormir" et ignorent souvent tout du droit d'asile en France.

Le jour, on croise ces hommes qui s'arrangent pour garder une apparence soignée, rasés, tirant nerveusement sur des cigarettes. "Police, contrôle", leur crie pour jouer, du haut d'un toboggan dans le parc qu'ils fréquentent, un petit garçon.

Selon l'association France Terre d'Asile (FTA), qui effectue des maraudes à la rencontre des SDF irakiens, pour la plupart kurdes, iraniens et afghans, chaque semaine il arrive 20 ou 30 Irakiens à Paris, avec l'espoir de gagner vite le Royaume-Uni.

La fermeture, il y a quatre ans, du centre de la Croix-Rouge de Sangatte (nord), où 1.800 de ces migrants étaient accueillis, n'a rien changé.

"C'est un flux continu car les réseaux (de passage) existent et ils sont là", à Paris, explique Frédéric Collin, responsable de l'hébergement des adultes isolés chez FTA.

Environ 70% repartent, mais certains, comme Mohamed, Mahmoud et Hassan - des prénoms d'emprunt - n'arrivent plus à continuer le voyage et refusent de retourner dans un pays où la violence, même entre voisins, s'est généralisée.

Mohamed, de Kirkouk (250 km au nord de Bagdad), fils d'un sympathisant du régime de Saddam Hussein, se dit menacé de mort : des voisins l'ont accusé d'avoir tué leur fils, et n'ont cessé depuis de le poursuivre, affirme-t-il en montrant une balafre sur sa joue gauche. Il a fui et "jusqu'en Angleterre la famille me cherchait", assure-t-il.

En France, ce Kurde a dégringolé. Accusé d'être un passeur, il a fait six mois de prison et depuis, faute de structure d'accueil adaptée et d'informations, il erre, en France ou ailleurs, notamment en Belgique: "Je ne veux pas retourner en Irak. Je suis jeune, je ne veux pas mourir".

A côté de lui, Mahmoud, 22 ans aussi, originaire de Mossoul (370 km au nord de Bagdad), arrivé à 19 ans, a failli avoir de la chance. Il a séjourné dans un foyer, commencé une formation de cariste, entamé une procédure de demande d'asile. Puis, il est également "tombé en prison", pour vol, et a perdu aides et hébergement.

Hassan, 31 ans, sunnite de Bagdad, a fui le pays avant la guerre, en raison de "problèmes avec le gouvernement": une affaire d'argent qui aurait mal tourné avec un proche du régime.

En 2003, il a voulu rentrer, mais n'est pas resté, ne supportant plus les conditions de vie et l'insécurité dans la capitale irakienne.

"Maintenant, les gens là-bas disent +il a de la chance celui-là+, lorsque quelqu'un meurt", raconte l'homme en anglais.

Mais, pour avoir quitté le Royaume-Uni avant que sa procédure de régularisation ne soit achevée, il y a perdu tout droit de séjour et, en France, il est menacé de reconduite à la frontière.

"Les Anglais, les Américains sont venus. Maintenant, nous n'avons plus de vie. Pas de papiers. Comment je peux construire une famille ? Nous, on n'avait rien demandé", conclut Hassan.