Le Canard Enchaîné | par Anne-Sophie Mercier | 31/03/2021
Prises de Bec
ELLE a une mignonne petite bouille, l'air gai, elle parle, avec simplicité, de « nouvelles pratiques démocratiques », de « justice sociale », de « démocratie citoyenne », de « visages nouveaux », comme si elle sortait d’une dictature. Jeanne Barseghian, la nouvelle maire de Strasbourg, élue à 39 ans à la tête d’une coalition d’écologistes, de communistes, de militants de Génération.s, le mouvement de Benoît Hamon, était jusqu’à présent peu connue dans sa ville. Cette diplômée en droit de l’environnement fut une conseillère municipale effacée lors de la précédente mandature, celle du socialiste Roland Ries.
Mais, racontent ses proches, elle aurait, durant la campagne, développé sa « force de caractère », en déboutonnant son « manteau de timidité ». Lequel manteau glisse aisément lorsqu’elle se trouve dans la sphère privée : Jeanne Barseghian, qui aime chanter et danser, et montre quelques dispositions pour la musique, se déguise parfois en Petit Poney rose ou en Spice Girl sur scène. Il y a sans doute des amateurs.
Rapport aux vieilles pratiques, elle a tout de suite pris de bonnes habitudes et ne s’est guère décarcassée pour ouvrir la route de la Métropole à l’encombrante Catherine Trautmann. Elle a annoncé une baisse de son salaire de maire, au nom de la « sobriété », sans s’appesantir sur celui perçu en tant que vice-présidente de l’agglomération. « Les écolos se sont livrés à un véritable tour de passe-passe : ils ont annoncé avec tambour et trompette la baisse de leur rémunération à la mairie, sans jamais détailler le total de ce qu’ils touchent dans diverses structures ! » tonne une parlementaire socialiste.
Mauvaise foi
Rapport à l’écologie, Jeanne Barseghian fait dans le classique : pistes cyclables, végétalisation du centre-ville, limitation du diesel. Rien de très nouveau dans une ville convertie de longue date à la défense de l’environnement. Ah ! si : à peine élue, elle a déclaré solennellement l’« urgence climatique » dans sa ville.
La voilà prise dans la tourmente, depuis le vote d’une subvention de 2,5 millions d’euros à la mosquée Eyyub Sultan, contrôlée par Millî Görüs, une organisation islamique rigoriste inféodée à Erdogan. Darmanin s’est emparé de l’affaire, ravi de faire un coup politique et de se payer une maire écolo. La mauvaise foi de l’Etat, qui connaît parfaitement l’existence de cette organisation et l’a laissée gérer plus de 70 mosquées sans jamais parler de la dissoudre, fait concurrence à celle de la municipalité de Strasbourg, qui accumule les mensonges.
A-t-elle, comme elle le prétend, conditionné le versement effectif des 2,5 millions au respect par Millî Görüs des principes républicains ? Non. N’a-t-elle, comme elle le prétend, jamais été mise en garde par les services de l’Etat ? Non. Exaspérée par les affirmations de Jeanne Barseghian, la préfète du Bas-Rhin a publié une mise au point assez sèche, en fin de semaine, rappelant qu’elle avait averti la maire « personnellement, et à plusieurs reprises ».
Le soutien de Jeanne Barseghian à Millî Görüs est d’autant plus étonnant que la maire se dit féministe et que l’organisation a ouvertement milité contre la convention d’Istanbul, un texte condamnant les violences faites aux femmes.
La polémique prend d’autant plus d’ampleur qu’elle intervient après plusieurs décisions assez curieuses des nouveaux élus strasbourgeois, comme le refus de voter la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. Une définition qui n’a pourtant rien d’exceptionnel, puisque des municipalités de sensibilités aussi différentes que Paris ou Nice l’ont votée sans la moindre difficulté. La nouvelle majorité municipale a également refusé d’inscrire dans sa charte de fonctionnement le mot « laïcité ».
Opposition muselée
Explication d’Hulliya Turan, adjointe : il s’agit là d’une « zemmourisation » des esprits... La mairie s’est aussi illustrée par son refus du label « capitale européenne de la démocratie », attribué par le très consensuel Innovation in Politics Institute, avec à la clé 10 millions d’euros. Explication : « On ne connaît pas l’origine des fonds. » « Du grand n’importe quoi, cet institut est reconnu par le Conseil de l’Europe », s’agace Anne-Pemelle Richardot, conseillère municipale socialiste. Olivier Becht, député Agir du Haut-Rhin, y voit « une idéologie de repli sur le local ».
Attaquée de toutes parts, la municipalité peut choisir de clore le débat. Comme le 28 septembre dernier, quand elle avait décidé d’annuler purement et simplement le conseil municipal du 12 octobre pour le repousser au 16 novembre. La raison ? L’absence de maîtrise des dossiers. « Vu le contexte politique actuel, vu la tonalité des derniers conseils municipaux, si on n’a pas de délibération politique, je ne vois pas l’intérêt de donner une tribune supplémentaire à notre opposition », avait déclaré la maire à ses troupes, avant de lancer : « On peut aussi mettre ça sur le dos du contexte sanitaire. » Les « nouvelles pratiques démocratiques » attendront un peu.