Au moins 26 manifestants ont été tués vendredi 6 mai par les forces de sécurité syriennes dans plusieurs villes du centre et de l'ouest de la Syrie, tandis que Riad Seif, l'une des principales figures de l'opposition, a été arrêté à Damas, selon des militants des droits de l'Homme.
Malgré l'interdiction édictée par le ministère de l'Intérieur, des milliers de syriens sont descendus dans la rue pour exprimer leur opposition au régime du président Bachar al-Assad, alors qu'un appel à manifester, baptisé "vendredi du défi", avait été lancé via Internet.
Les autorités ont annoncé de leur côté la mort de dix soldats et policiers à Homs, importante cité industrielle à 160 km au nord de la capitale. A Homs, 16 manifestants ont été tués quand les forces de sécurité ont ouvert le feu sur une manifestation alors que le défilé arrivait à Bab Dreib, dans le centre-ville, selon un militant local.
Corps mutilés
Environ 80 km plus au nord, six autres manifestants ont été tués également par les forces de l'ordre à Hama, selon des militants. En 1982, une terrible répression avait fait 20.000 morts dans cette ville, lorsque les Frères musulmans s'étaient soulevés contre le régime de Hafez al-Assad, père du président Bachar al-Assad.
Sur la côte méditerranéenne, un manifestant a été tué et trois blessés à Lattaquié, premier port du pays, selon l'observatoire syrien des droits de l'Homme. Et deux autres ont succombé à Jablah, à quelques dizaines de kilomètres plus au sud le long de la côte, selon des militants, qui n'ont pas précisé où avait été tué le dernier manifestant cité dans le bilan de l'organisation de défense des droits de l'Homme Insan.
Une attaque "terroriste" contre un poste de contrôle à Homs a fait 10 morts parmi les soldats et les policiers, selon un nouveau bilan annoncé par un porte-parole militaire syrien cité par l'agence officielle Sana. Un précédent bilan avait fait part de cinq morts. "Des unités de l'armée et des forces de sécurité ont pourchassé les groupes terroristes armés dans les environs de Homs (...) après l'attaque menée contre un poste de contrôle de l'armée et de la police", a annoncé le porte-parole. "A cause de ces affrontements, le nombre des martyrs de l'armée et de la police est passé à 10 morts et plusieurs blessés", a-t-il ajouté, précisant qu'il y avait aussi des morts et des blessés au sein des "groupes terroristes".
Auparavant, l'agence Sana avait annoncé qu'un "groupe armé criminel" avait ouvert le feu sur un poste de contrôle à Homs, tuant un officier et quatre policiers. L'agence avait donné les noms des personnes tuées et affirmé que leurs corps avaient été mutilés par les agresseurs.
300 arrestations à Saqba
Parallèlement, des chars ont pris position dans le centre de Homs et dans des quartiers périphériques, où "des dizaines de personnes ont été arrêtées dans la nuit de jeudi à vendredi dans plusieurs quartiers", a affirmé Najati Tayara, un militant des droits de l'Homme. Sillonnant les rues avec des camionnettes équipées de haut-parleurs, les services de sécurité ont appelé les habitants ayant participé à des manifestations à se rendre. Ils ont également sommé les commerçants de rentrer chez eux et les habitants de ne pas sortir.
Des manifestations ont aussi été signalées dans les régions à majorité kurde du nord, à Banias (ouest), Kafar Noubol (centre), Deir Ezzor (est) et Al Bukamal, à la frontière avec l'Irak. A Saqba, près de Damas, ils étaient des milliers pour réclamer la chute du régime et la libération des prisonniers politiques, au lendemain de l'arrestation de 300 personnes dans cette localité.
Le ministère de l'Intérieur avait appelé les Syriens à "s'abstenir de participer à tout sit-in ou manifestation" à l'occasion de cette journée baptisée "Vendredi du défi" par les opposants.
Deux ans et demi de prison pour avoir appelé à la démocratie
A Damas, Riad Seif, grande figure de l'opposition syrienne, "a été interpellé après la prière du vendredi à proximité de la mosquée al-Hassan, dans le quartier Midane", a déclaré à l'AFP le président de l'Observatoire syrien des droits de l'homme, Rami Abdel Rahmane. Une manifestation avait rassemblé plusieurs centaines de personnes à la sortie de la mosquée.
Riad Seif, 64 ans, souffre d'un cancer de la prostate. En 2001, il avait déjà été condamné à cinq ans de prison pour avoir voulu "changer la Constitution d'une manière illégale". Il a ensuite purgé une peine de deux ans et demi de prison en 2008-2010 pour avoir appelé à la démocratie. Selon Amnesty International, les vagues d'arrestations en cours en Syrie ont forcé plusieurs figures de l'opposition à entrer dans la clandestinité pour échapper aux menaces des autorités. "La violence qui empire toujours, les arrestations massives et les mauvais traitements infligés aux détenus n'ont fait que renforcer la détermination des manifestants à travers le pays, et ils doivent pouvoir exprimer leurs opinions en toute sécurité", a insisté Amnesty.
600 personnes tuées
Pendant ce temps, l'armée a poursuivi son retrait entamé jeudi de Deraa, épicentre de la contestation contre le régime à 100 km au sud de Damas. Elle avait pénétré dans la ville le 25 avril pour mater la contestation. Selon le général le Riad Haddad, directeur du département politique de l'armée, environ 600 personnes ont été arrêtées à Deraa depuis cette date.
Face à ces violences, les 27 Etats européens sont tombés d'accord vendredi à Bruxelles pour sanctionner 13 membres du régime syrien, mais pour l'instant pas Bachar al-Assad, selon des sources diplomatiques.
Depuis le début du mouvement de contestation le 15 mars, plus de 600 personnes ont été tuées, en majorité à Deraa, selon des ONG, et au moins 8.000 personnes ont été interpellées en Syrie, selon Insan.
Les déclarations "enflammées" d'Alain Juppé
Le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé avait réaffirmé mercredi que la France voulait voir le président Assad sanctionné par l'Union européenne et estimé qu'il serait évincé si la répression perdurait. A Damas, une centaine de manifestants portant des t-shirts à l'effigie du président se sont rassemblés jeudi dans le calme devant l'ambassade de France pour protester contre les déclarations "enflammées" d'Alain Juppé.
A Washington, des élus du Congrès américain ont jugé l'administration du président Barack Obama trop tendre avec le régime syrien et sa répression violente du mouvement de protestation.
Le Nouvel Observateur - AFP