Kendal Nezan: Le martyre des yézidis


Mardi 21 août 2007 | Par Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris

Les attentats de mardi dernier dans le nord de l’Irak sont les plus meurtriers depuis ceux du 11 septembre 2001.

Plus de six cents civils, femmes, enfants, vieillards confondus, ont été massacrés par des attentats aux camions piégés en raison de leur appartenance à la religion yézidie. Ces attentats sont les plus meurtriers de l’histoire récente, après ceux du 11 septembre.

Le yézidisme est un avatar syncrétique des religions préislamiques et préchrétiennes, du mithraisme et du zoroastrisme saupoudré de quelques éléments empruntés à l’hindouisme et à l’islam pour s’accommoder à un environnement largement hostile. Considérés comme hérétiques par l’islam orthodoxe, les yézidis ont été persécutés tout au long de l’histoire, en particulier par l’empire ottoman. Des dizaines de milliers d’entre eux ont dû, au XIXe siècle, chercher refuge dans le Caucase où leurs descendants forment encore des communautés significatives en Arménie, en Géorgie et en Russie. D’autres ont survécu dans les montagnes du Kurdistan, qui constituent une sorte d’arche de Noé ethnographique, aux côtés des chrétiens assyro-chaldéens, des juifs, des sabéens, des shabaks, des yarsanites et autres minorités religieuses menacées. Pour avoir toléré ce pluralisme confessionnel, les Kurdes musulmans sont souvent eux-mêmes stigmatisés par leurs voisins comme des croyants douteux, à telle enseigne qu’un proverbe turc dit : «Par rapport au mécréant, le Kurde, aussi, est un musulman.» Toujours est-il que, les yézidis sont une communauté des plus pacifiques, au point où ils se refusent même à prendre parti dans la querelle opposant le diable au bon dieu, ce qui, aux yeux de leurs détracteurs musulmans, semble être une manière de réhabiliter Satan et leur vaut parfois l’épithète d’«adorateurs du diable». Leur religion, dont les livres sacrés et les prières sont en kurde, leur interdit tout prosélytisme. Au nombre d’environ 500 000 en Irak, notamment dans les districts de Sheikhan et de Sinjar, près de la frontière syrienne, dans la province de Mossoul sous administration irakienne. Contrairement aux yézidis du Kurdistan autonome qui, depuis 1991, bénéficient des libertés religieuses et politiques ainsi que d’une protection réelle, ceux de Mossoul restent très vulnérables et défavorisés. Nombre d’entre eux vivent encore dans des moudjamea, sorte de camps d’internements où ils ont été regroupés par le régime de Saddam Hussein après la destruction de leurs villages. Les attentats du 14 août ont frappé deux de ces camps, prolongeant en quelque sorte l’opération d’extermination entreprise par le régime baasiste.

Ce massacre ne peut être considéré comme un épisode sanglant parmi d’autres des affrontements interconfessionnels qui endeuillent régulièrement l’Irak. Les yézidis n’ont aucune milice, ils ne menacent personne et ils se sont tenus, jusqu’à présent, à l’écart des conflits déchirant le pays. Les victimes sont des paysans démunis et sans défense. Ceux qui ont planifié et perpétré ces attentats, avec des camions bourrés de deux tonnes d’explosifs, ont cherché délibérément à exterminer une partie d’une communauté religieuse qu’ils considèrent comme «hérétique» et «anti-islamique» et à obliger tous les yézidis à quitter la province de Mossoul qui, à leurs yeux, doit devenir arabe et sunnite. Il s’agit donc d’un acte génocidaire constituant un crime contre l’humanité. Ses exécutants sont sans soute les djihadistes d’Al-Qaeda alliés aux partisans de Saddam Hussein. Mais, on ne doit pas oublier que ce terrorisme barbare bénéficie du soutien multiforme de plusieurs pays voisins de l’Irak qui agissent d’une façon quasi publique et en toute impunité. Face à cette barbarie commise au nom de l’Islam, les Etats arabes et musulmans restent silencieux, tout comme ils n’avaient pas réagi lors des opérations génocidaires de Saddam Hussein contre les Kurdes.

Les forces américaines et irakiennes s’avèrent incapables d’assurer la sécurité des minorités religieuses fragiles (yézidis, assyro-chaldéens, Turkmènes chiites) de la mosaïque irakienne. A défaut de la sécurité, les droits de ces minorités, inscrits dans la Constitution irakienne sous l’impulsion de l’alliance des partis kurdes, restent encore bien théoriques.

Dans ce contexte, la seule solution susceptible d’assurer la survie en Irak de ces communautés est leur intégration au Kurdistan autonome. Les districts où elles vivent dans les provinces de Mossoul et de Kirkouk sont peuplés d’une forte majorité de Kurdes. La Constitution irakienne, approuvée par plus de 80 % d’Irakiens, stipule, dans son article 140, l’organisation, avant la fin de 2007, d’un référendum dans ces territoires pour permettre à leur population de se prononcer librement sur leur rattachement au Kurdistan. Tous les scrutins organisés ces dernières années montrent que, outre les Kurdes musulmans et les yézidis, une grande majorité des chrétiens et une bonne partie des Turkmènes de ces territoires souhaitent leur rattachement au Kurdistan où, grâce à une police, une armée et une administration efficaces, la population jouit d’un degré enviable de sécurité et de prospérité.

Le martyre des yézidis de Sinjar souligne l’urgence d’organiser ce référendum, nonobstant les menées terroristes et les menaces des voisins comme la Turquie, afin de montrer à la grande majorité des citoyens irakiens que la Constitution, pour laquelle ils ont voté, n’est pas un chiffon de papier et qu’ils doivent bâtir leur démocratie en assumant eux-mêmes la lutte contre le terrorisme. La France et l’Union européenne doivent réagir face à la barbarie du fanatisme djihadiste qui est une menace grave pour la paix et la stabilité mondiale.