Dimanche, un attentat à la voiture piégée a fait une demi-douzaine de morts et une vingtaine de blessés dans la ville sainte chiite de Kerbala à 110 kilomètres au sud de Bagdad.
Lundi, c’est donc sous très haute sécurité militaire américaine que le Premier ministre Nouri al-Maliki, s’est rendu au stade de Kerbala où se déroulaient les cérémonies de transfert du contrôle de la sécurité de la province entre les forces de la coalition sous égide américaine et les autorités irakiennes. Kerbala est la huitième des 18 provinces à revenir sous administration irakienne. Nouri al-Maliki a saisi l’occasion pour exprimer ses craintes de voir les Etats-Unis réduire fortement leur présence en Irak alors que, dit-il, « nous avons pris du retard, beaucoup de retard, dans la reconstitution de nos forces », surtout en matière d’entraînement et d’équipement.
«La force de la loi»
L’avènement des démocrates américains aux législatives de 2006 et l’échéance l’année prochaine du mandat présidentiel de George Bush incitent Washington à se dégager d’Irak le plus vite possible, autant que faire se peut. Les Etats-Unis voudraient dans l’immédiat réduire leur contingent de 160 000 hommes au niveau qui était le sien avant l’envoi en février dernier d’un renfort de quelque 28 500 soldats, dans le cadre de l’opération Fard al-Qanoon, « la force de la loi », qui était destinée à sécuriser davantage Bagdad ainsi que certaines provinces voisines de la capitale considérées comme des bastions de l’insurrection
Ces jours derniers, le commandement américain en Irak s’est longuement félicité d’une décrue de l’insécurité. Elle est manifeste, selon son numéro deux, le général Ray Odierno, qui assure qu’en octobre les « attaques ont poursuivi leur tendance à la baisse, entamée en juin ». « L’opération Fard al-Qanoon est un succès » renchérit de son côté le général irakien Aboud Kanbar en charge pour sa part de la capitale. « Chaque fois que je me promène dans Bagdad, assure son pair américain, les Irakiens me disent combien ils se sentent plus en sécurité dans leurs quartiers ».
Si l’on en croit les dernières statistiques de la coalition, avec 285 morts irakiens (civils et forces de sécurité confondus) et 35 morts américains, le mois d’octobre 2007 s’affiche en effet comme l’un des moins meurtriers depuis presque deux ans. Et cela surtout en comparaison des pics sanglants de novembre 2006 ou de janvier 2007 : près de 2 000 civils tués à chaque fois dans des « violences interconfessionnelles ». Reste que le gouvernement irakien n’a pas quant à lui de grandes raisons de se féliciter des actions spécifiques lancées sous l’étendard Fard al-Qanoon contre les groupes liés à al-Qaïda ou au chiisme iranien qui opèrent en Irak. Si selon le général américain Odierno, « des citoyens à travers l’Irak sont en train de reconquérir leurs communautés », les groupes d’autodéfense que cela suppose ont en revanche tout pour inquiéter le gouvernement al-Maliki.
Bassora à la mi-décembre
« La remise de Kerbala fait partie d'un processus de prise de contrôle de la sécurité dans tout le pays et la prochaine étape sera Bassora à la mi-décembre », rappelle Nouri al-Maliki. A nouveau endeuillée ce dimanche, Kerbala, lieu saint du chiisme qui abrite le mausolée d’Hussein, le fils d’Ali (le gendre du prophète Mahomet), connaît des rivalités violentes entre formations chiites rivales. En août, celles-ci avaient fait au moins 52 tués et 300 blessés pendant une célébration religieuse. Il en va de même à Bassora, aux confins sud du pays, à la frontière du Koweit. Là aussi, les chiites se disputent l’autorité sur la province pétrolière et commerciale, unique débouché maritime de l'Irak dont les soldats britanniques de la coalition sont en train de se retirer. Ils ne sont déjà plus que 5 000 ancrés à proximité du port stratégique de Bassora.
Au centre, à l’est et au sud, les provinces de Missane, de Mouthanna, de Zi Qar et de Najaf (la ville sainte chiite où est érigé le mausolée d’Ali) sont passées sous administration sécuritaire irakienne depuis 2006. Quant aux provinces du Nord qui composent la région autonome du Kurdistan irakien, celles d'Erbil, de Dohouk et de Souleimaniyeh, leur sécurité ne dépend pas non plus de la coalition sous égide américaine mais de l’autorité kurde irakienne du président Massoud Barzani. Relativement épargné par les turbulences sanglantes irakiennes depuis 2003, le Kurdistan est aujourd’hui dans l’œil du cyclone engendré par la présence sur son territoire des rebelles kurdes de Turquie dont Ankara exige que les chefs lui soient livrés.
Lundi, au moins 27 policiers irakiens sont morts dans un attentat suicide contre le quartier général de la police de Baqouba, au nord de Bagdad, dans la province de Diyala, où le commandement américain s’emploie à mobiliser les communautés sunnites locales contre d’autres groupes d’insurgés se réclamant d’al-Qaïda. La veille, 11 chefs tribaux sunnites de cette région, ont été enlevés à Bagdad dans le quartier al-Chaab, noyauté par les partisans de l'armée du Mahdi, la milice du chef radical chiite Moqtada Sadr. Les disparus venaient de rencontrer Nouri al-Maliki.
En lançant un appel à l’aide en armes et en formation, le Premier ministre Nouri al-Maliki a dit qu’il ne jugeait pas le moment opportun pour expliciter les raisons pour lesquelles les forces irakiennes de sécurité ne pourraient pas à son avis remplacer les troupes américaines au pied levé. Mais nul n’ignore plus que garantir la stabilité de l’Irak n’est pas une mince affaire. C’est du reste aussi pourquoi les Américains songent à en partir dès que possible. Mais pour l’heure, les troupes de la coalition restent sur le pied de guerre, se faisant toutefois plus discrètes lorsqu’elles passent la main au niveau du commandement, comme à Kerbala.